Le livre des « Juges » partie XII

Devora, prophétesse et choféteth

(Première partie)

 

La partie que le séfèr Choftim consacre à Devora s’ouvre sur une brève introduction (4,1 à 3) décrivant la situation catastrophique où se trouvaient les enfants d’Israël lorsqu’elle est arrivée au pouvoir.

« Les enfants d’Israël continuèrent de faire ce qui est mauvais aux yeux de Hachem et Ehoud était mort » (4,1). Les commentateurs s’interrogent sur la formulation de ce verset: Entre Ehoud et Devora, il y avait pourtant eu Chamgar! Pourquoi n’est-il pas mentionné?

En réalité, explique Radaq, Chamgar n’avait pas entièrement délivré le peuple d’Israël, lequel n’avait pas cessé de mal agir aux yeux de Hachem. Il n’y avait pas eu, de son temps, de paix véritable, comme en témoignera plus loin le Texte (5,6).

Les Hébreux furent livrés à l’asservissement de Yavin, roi de Canaan, «qui régnait à ‘Hatsor». Cette domination, la seule parmi toutes celles décrites dans le séfèr Choftim à avoir été «vigoureuse» (be-‘hozqa [4,3]), a été probablement la plus cruelle.

Rappelons que Josué, au cours de sa campagne militaire contre les Cananéens, avait pris ‘Hatsor, «auparavant la capitale de tous ces royaumes», et l’avait brûlée par le feu (Josué11,10 et 11). Elle subsiste aujourd’hui, rapporte Yehouda Elitsour (Séfèr Choftim – Collection Da‘ath Miqra), comme un tas de ruines près de Ayéleth ha-Cha‘har, non loin du lac de Tibériade.

Située sur la route commerciale qui reliait l’Egypte à Damas, puis à la Mésopotamie, ‘Hatsor occupait une position stratégique de premier plan dans la région, et elle remplissait un rôle essentiel, non seulement en Erets Yisrael, mais à travers l’ensemble du Proche et du Moyen-Orient. Il n’est donc pas étonnant que le texte désigne Yavin, dans trois versets (4,2 4,23 et 24), non pas comme «roi de ‘Hatsor», mais comme «roi de Canaan».

Yavin et Sissera, son chef d’état-major, résidaient à ‘Harocheth ha-Goyim, ainsi nommée, soit parce qu’elle était une ville fortifiée (Rachi), soit parce qu’elle était une ville industrielle (Metsoudath David). Elle se serait située non loin de l’actuel Kibbouts de Cha‘ar ha-‘Amaqim, entre la vallée de Yizre‘èl et celle de Zabulon (Elitsour op.cit.).

Sissera disposait de neuf cents chars (4,3) –les blindés de l’époque– une armée d’autant plus puissante qu’il s’y ajoutait, selon le Targoum (5,8), quarante mille généraux (reichei machiryan), cinquante mille porteurs d’épée, soixante mille lanciers, soixante-dix mille porteurs de boucliers et quatre-vingt mille soldats.

Son armée, observe la Guemara (Pessa‘him118b), était encore plus puissante que celle du Pharaon de la sortie d’Egypte! Il est écrit en effet de celui-ci qu’il possédait six cents chars (Chemoth14,7), alors que Sissera en avait neuf cents.

Cette puissance aussi redoutable lui a permis, vingt ans durant, de décourager toute velléité de révolte de la part d’Israël et de l’opprimer durement.

C’est alors que Devora accéda à la magistrature suprême. Elle était également, précise le texte (4,4), «prophétesse et femme de Lapidoth».

Notre histoire a connu sept prophétesses, nous apprend le Talmud (Meguila14a). Devora a été l’une d’elles, après Sara et Miryam, et avant ‘Hanna, Avigaïl, ‘Houlda et Esther.

Elle est également présentée comme la femme de Lapidoth, expression que nos commentateurs interprètent diversement:

– Selon Rachi, qui cite la Guemara (Meguila14a), elle confectionnait des mèches (lapidoth) pour le sanctuaire.

– Suivant le Tanna de-bei Eliyahou, comme Lapidoth était un ignorant, sa femme Devora l’avait incité à fournir des mèches pour le sanctuaire. Elle espérait ainsi qu’il fréquenterait les Sages et s’instruirait à leur contact.

– Pour Radaq, Lapidoth, le mari de Devora, n’était autre que Baraq.

– Une quatrième interprétation est proposée par Metsoudath David: Devora était une femme d’exception, zélée comme une «torche de feu» ([lapid èch] – cf. Berèchith15,17). C’est cette «torche de feu» qui enflammera la «foudre» (baraq).

Elle habitait, poursuit le texte «sous le palmier de Devora, entre Rama et Béthel, dans la montagne d’Ephraïm, et les enfants d’Israël montaient vers elle pour être jugés».

L’expression «palmier de Devora» (tomèr Devora) ne doit pas, indique Rachi, être prise au pied de la lettre. Elle habitait à ‘Ataroth, et elle était très riche. Les endroits énumérés dans le verset correspondent aux lieux où elle possédait des biens: des palmiers à Jéricho, des vignobles à Rama, des oliviers à Béthel et des domaines agricoles dans la montagne d’Ephraïm.

Autre explication, proposée par Metsoudath David: Elle recevait ses visiteurs sous un palmier, et ce afin d’écarter tout soupçon d’isolement prohibé (yi‘houd) avec les hommes (Meguila14a).

Radaq fait remarquer que les intuitions prophétiques de Devora s’appliquaient seulement au présent. On en trouvera d’ailleurs plus loin dans son cantique. Elle n’a, en revanche, jamais prophétisé pour l’avenir.

Elle fit appeler Baraq, fils d’Avino‘am, de Qédèch-en-Naftali, et lui dit: «Voici ce que Hachem a ordonné: Entraîne les enfants d’Israël sur le mont Thabor et prends avec toi dix mille hommes de Naftali et de Zabulon!»

S’il était son mari, remarque Radaq, il s’était sans doute séparé d’elle: Qédèch-en-Naftali était situé en Haute-Galilée, très loin de Jéricho où siégeait Devora.

«J’attirerai vers toi, vers le torrent de Kichon, Sissera, chef de l’armée de Yavin, avec ses chars et sa multitude, et Je le livrerai en ta main», poursuivit Hachem par le truchement de Devora.

Baraq lui répondit qu’il était prêt à accepter cette mission, mais à une condition: Il exigeait qu’elle l’accompagne au combat.

Devora lui répondit – sous inspiration prophétique, précise Radaq: «Soit! J’irai avec toi. Or, ce n’est pas toi qui recueilleras la gloire du triomphe, mais une femme. Car c’est aux mains d’une femme que Hachem livrera Sissera» (4,9).

Ainsi rassuré, Baraq leva une armée de dix mille hommes, originaires des tribus de Zabulon et de Naftali (4,10), une troupe insignifiante comparée aux trois cent mille soldats aguerris (voir ci-dessus) dont disposait Sissera. Le silence du texte quant à leur armement donne à penser qu’il devait se composer, tout comme pour Chamgar, d’instruments employés dans l’agriculture, comme des aiguillons à bœufs…

(à suivre)

Jacques KOHN Zal