La période douloureuse comprise entre le 17 tamouz (où furent brisées les Tables de la loi suite au péché du veau d’or) et le 9 av (marquée par la faute des explorateurs et la destruction des deux temples) est appelée Bén ha-Métsarim : « entre les étaux » (ou « entre les détresses »), expression tirée de la Meguila d’Eikha (« Lamentations » 1, 3) : « Yehouda a été exilé […] tous ses poursuivants l’ont atteint entre les étaux » – où nous continuons d’être pressés et comprimés.
Vingt-deux jours séparent ces deux tragédies – correspondant, selon certains (Ohev Yisrael, fin Pin‘has), aux 22 jours de fêtes que nous célébrons tout au long de l’année juive, et selon d’autres, aux 22 jours compris entre Roch ha-Chana et la fin de Soukoth.

En effet, pour le Yalqout Chim‘oni (Pin‘has),c’est pendant les mois d’été – tamouz, av et eloul – marqués par les récoltes et par le contentement qui en résulte, que nous aurions dû initialement célébrer les fêtes de tichrei : Roch ha-Chana aurait dû ainsi avoir lieu le 17 tamouz ; Yom Kippour le 9 av, et Soukoth aurait dû débuter Roch ‘hodech eloul.
Ce nombre 22 est hautement symbolique pour une raison supplémentaire, soulignée par le traité Sanhédrin (104a) : « Pourquoi [Israël] a-t-il été frappé [avec les 22 lettres de] l’alphabet ? Parce qu’ils ont transgressé la Tora, donnée [et écrite avec toutes les lettres de] l’alef-beith. En effet, les quatre premiers chapitres (sur 5) de la Meguila d’Eikha se présentent comme une suite d’acrostiches suivant l’ordre alphabétique. En outre, ses chapitres 1, 2, 4 et 5 comportent 22 versets – correspondant aux lettres de l’alphabet, mais aussi aux 22 jours susmentionnés. Quant aux chapitres 2, 3 et 4, ils sont marqués par cette « anomalie » : le verset débutant par la lettre devance celui du ‘ayin¸ alors que dans l’alphabet, le ‘ayin précède le. Or, comme nous le savons, désigne aussi la « bouche », et ‘ayin l’« œil ». Pour Rachi (Eikha 2, 16), cette inversion fait allusion à ceux [les explorateurs] qui ont exprimé avec leurs bouches ce que leurs yeux n’avaient pas vu.
Sous l’effet de nos préjugés, influencés par notre vécu et notre expérience personnelle, nous avons tendance à nous exprimer en « dépassant » notre œil. Telle est l’origine de nos pires malheurs, car cette déformation nous empêche de voir ce que Dieu veut que nous percevions. Les explorateurs n’ont menti à aucun moment. Leur faute a consisté à dire ce que leurs préjugés leur ont montré, et à parler sans avoir vu ce qu’ils auraient dû voir. Il en a résulté la tragédie que nous connaissons. La nuit de leur retour, le peuple, effrayé par leurs propos, a gémi, et cette date – le 9 av – a été fixée par Hachem comme un jour de malheur et de pleurs pour les générations (Ta‘anith 28b).
Car cette conduite relève du désordre du monde, créé par la Parole, par la langue sacrée générée par les 22 lettres de l’alphabet. En cette période de lamentations et de gémissements, nous sommes déroutés par nos propres pleurs, par les larmes qui voilent nos yeux et nous empêchent de déceler l’ordre des choses et la voie à suivre.
En ces jours douloureux, tentons plutôt de voir clair ! Prenons conscience de la confusion dans laquelle nous sommes plongés pour avoir activé le avant le ‘ayin. Veuille Hachem nous permettre de rétablir cet ordre, à l’instar de celui des 22 lettres, de manière à transformer les lamentations d’Eikha en manifestations de joie ! Amen 

 Rav Dov Roth-Lumbroso