Alors que nous nous apprêtons à entamer la lecture du 2ème passage dont il nous a été demandé de nous acquitter avant la fête de Pessa’h, nous voudrions revenir sur l’ordre que suivent ces 4 lectures : Chekalim, Amalek, Para et « ha’Hodech haZé lakhem ».
Depuis le 1er du mois d’Adar où nous devons faire entendre les Chekalim d’Israël jusqu’à la « parachat ha’Hodech », les 4 lectures rythmant la délivrance du peuple juif sont intimement associées aux miracles de ces deux mois : Adar et Nissan. Mois de notre délivrance future et de notre délivrance historique, Adar et Nissan sont nommés par Rachi, les mois miraculeux d’Israël (cf. Traité Taanit, 29/a). Deux temporalités qui, si elles se distinguent, se retrouvent pour former la réalisation effective d’Israël dans l’histoire : de sa naissance à son accomplissement. Or, tout comme la naissance historique d’Israël débute en Egypte, sa réalisation finale répond à son origine et vient, pour ainsi dire, renouer avec elle. Il ne serait donc peut-être pas faux de voir dans l’ordre de ces 4 lectures le cheminement que doit nécessairement emprunter Israël afin d’accomplir sa destinée…
Chekalim ou l’unité d’Israël
La première lecture répondrait en ce sens au premier pas que doit faire Israël pour s’arracher de l’exil. Et pour cause : l’unité d’Israël atteinte dans le tsibour autour de l’édification du Michkan n’est rendue possible que si nous sommes capables, chacun pris individuellement, d’offrir un lieu à la Résidence divine. Comme il est dit : « véChokhaneti béTokham – Je demeurerai en vous » (Chémot 25, 8). Une expression dont on retrouve la 8ème et dernière mention dans tout le Tanakh avec ce verset du prophète Zekharia (8, 3) : « Ainsi a parlé l’Eternel : ‘Je suis revenu à Tsion et J’ai rétabli Ma demeure au milieu de Jérusalem. Et, elle se nomme Jérusalem, la ville de vérité (Ir haEmet) et la montagne de l’Eternel Tsévakot, la montagne de sainteté’ (har haKodech) ».
La destruction du deuxième Temple a en effet été rendue possible par l’apparition de la haine gratuite au sein du peuple juif, un sentiment qui s’oppose au don de soi du Michkan. Désirer la délivrance d’Israël, c’est donc d’abord chercher à constituer une communauté. Or, comme nous l’avons vu cette année, on ne saurait se référer à une quelconque unité d’Israël sans rappeler au préalable que, depuis la faute du veau d’or, celle-ci ne peut se réaliser grâce à la simple existence ipso facto de ses membres, ni trouver dans la seule subjectivité les ressources nécessaires à son apparition. Puisqu’au contraire, la seule manière d’exprimer réellement l’unité du peuple juif passe nécessairement par la constitution effective d’un tsibour, c’est-à-dire par un rassemblement rendant effectivement possible la dimension authentique d’Israël, sa sainteté. L’unité d’Israël se réalise à travers ses mynianim.
Amalek ou la foi retrouvée
A propos du verset « Lorsque Moché levait la main, Israël l’emportait [et lorsqu’il la laissait fléchir, Amalek l’emportait] » (Chémot 17, 11), une Michna du Traité Roch haChana (p.29/a) demande : « Et quoi ?! Est-ce que ce sont vraiment les mains de Moché qui font la guerre ou qui brisent la guerre ? C’est qu’on est venu t’enseigner que tant qu’Israël avait les yeux tournés vers le haut et qu’il soumettait son cœur à son Père céleste, alors effectivement, Israël l’emportait. Mais lorsque ce n’était pas le cas : Israël fléchissait ». Si la victoire contre Amalek est suspendue au regard d’Israël tourné vers le Ciel, c’est parce que lutter contre Amalek, c’est reprendre, du sein de l’exil, les valeurs qui nous lient au néant, et nous en défaire. Repousser les ténèbres de l’exil afin de pouvoir relier le ciel et la terre, et retrouver la transcendance au cœur de notre existence. On ne peut développer davantage cette idée ici. Rappelons juste que, dans la guerre qu’il livre au peuple juif, Amalek oblige Israël à retourner à sa foi. Une idée qui ne pouvait s’exprimer que dans les mains de Moché précisément, celles-ci répondant au verset : « HaKol kol Yaacov véhaYadaïm yédé Essav – Cette voix, elle n’appartient qu’à Yaacov, mais ces mains, ce sont celles d’Essav » (Béréchit 27, 22). Car, depuis l’achat du droit d’aînesse contre un plat de lentilles, Yaacov-Israël est, pour ainsi dire, dénué de mains, sa réussite ne pouvant advenir par la seule force de son bras. Ainsi, tant qu’il a les yeux tournés vers le Ciel, c’est-à-dire tant qu’il regarde les mains de Moché, Israël est lié à la transcendance qui le fait être. Dans le cas contraire, il fléchit.
Para – la pureté d’Israël
Le Talmud de Jérusalem (Traité Méguila 3, 5) affirme qu’il aurait été plus logique de lire la « parachat para » après la dernière paracha précédant la sortie d’Egypte, à savoir la « parachat ha’Hodech » que nous lisons le premier Chabbat de Nissan, puisqu’elle correspond au souvenir de la première vache rousse incinérée dans le Sinaï, après l’édification du Michkan. Puis elle répond que si la paracha de la vache rousse devance malgré tout celle du « ‘hodech », c’est pour que le peuple juif pénètre dans le nouveau mois en état de pureté…
Or, paradoxalement, la vache rousse renoue avec les couleurs de l’exil qu’avaient annoncées les lentilles d’Essav, comme il est dit : « ‘Verse-moi de ce rouge, ce rouge-là, car je suis las…’. C’est pour cela qu’il l’appelle Edom – le roux » (Béréchit 26, 29). Car, en ayant troqué ce monde-ci contre le monde futur, comme il est dit : « Vends-moi, en ce jour, ton droit d’aînesse ! » (Ibid., 30), Yaacov a en quelque sorte inversé les ordres : le monde présent n’est pas un passage vide de sens conduisant inéluctablement à la mort, il est devenu un prozdor, un couloir par lequel il est possible d’établir dans ce monde-ci les valeurs du monde à venir. Et tel serait l’un des enseignements de la para adouma : le peuple juif est voué à une renaissance éternelle en dépit de cet obstacle infranchissable que devrait constituer la mort…
« ha’Hodech haZé lakhem » – la temporalité de la guéoula
Comme le rappelle le Ramban, le nom des mois de notre calendrier lunaire est issu de la tradition chaldéenne, c’est-à-dire de Babylone : « Lorsque nous sommes montés de Babel et que s’est accompli ce dont parle le verset : ‘On ne dira plus : D.ieu vivant qui extirpe le peuple Israël d’Egypte, mais D.ieu vivant qui extirpe et qui ramène la descendance de la maison d’Israël des terres du Nord et de tous les pays où elle fut jetée’ (Jérémie, 23, 7), nous avons continué à appeler les mois par les noms qu’ils portent en terre de Babel afin que nous nous souvenions que l’Eternel nous y a maintenus et que c’est Lui qui nous en a fait sortir… » (Chémot 12, 2). Lire la « parachat ha’Hodech » consisterait ainsi à revenir à l’essence même de la temporalité d’Israël. Car, notre délivrance est inscrite dans la reconnaissance du sens à conférer à l’existence. Elle engage la question même du temps, c’est-à-dire celle d’un nouveau départ : Pessa’h.Par Yehuda-Israël Rück, en partenariat avec Hamodia.fr