Cette semaine, paracha Vaét’hanan, nous entamons la série des sept haftarot dites « de consolation », en contrepoids des catastrophes évoquées par le jeûne du 9 Av. Ce sera pour nous l’occasion de découvrir comment le royaume du Machia’h, le « cinquième Royaume », est évoqué dans les prophéties de Daniel.

La première vision de Daniel s’achève sur l’apparition suivante : « Je continuai à regarder et c’est alors que les trônes furent jetés, et qu’un Ancien des jours prit place. Son vêtement avait la blancheur de la neige, et la chevelure de Sa tête celle de la laine éclatante. Son trône était des flammes étincelantes et ses roues un feu incandescent (…) » (Daniel ch. 7, 9-10). Après avoir décrit les dominations successives des Quatre puissances du monde, Daniel voit à présent le déroulement du Jugement dernier. Les allusions de ces versets renvoient à des concepts profonds et difficilement abordables dans leur approche première, puisqu’elles annoncent la manière dont D.ieu jugera les nations dans les Temps futurs.

Il est un point que l’on pourra cependant retenir : « Les trônes furent jetés ». Selon l’Abarbanel (Mayan 8 Tamar 7), ces trônes désignent ce qu’on appelle communément le « Kissé haKavod » [le Trône céleste], que l’on pourrait assimiler à un « ministère céleste ». Dans cette « salle du Trône », sont rassemblés tous les Anges des nations – aussi appelés les « Princes des nations » – qui participent activement à l’Administration divine du monde. Pendant toute la période de l’exil, ces Princes des nations plaident chacun en faveur de la nation dont ils ont la charge, et c’est sous leur influence que les événements sont décidés ici-bas.

Mais lorsque l’exil prendra fin, la première chose à laquelle on assistera sera la « levée des trônes », c’est-à-dire que les pouvoirs de tout ordre seront abolis. Ceci renvoie à l’idée souvent évoquée par nos Sages, selon laquelle D.ieu ne frappe un peuple qu’après avoir rabaissé son Ange dans les Cieux, car le pouvoir du premier est directement dépendant de l’influence du second.

Après l’abolition des puissances dominatrices, la vision poursuit ainsi : « Je regardai encore dans la vision nocturne, et voilà qu’au sein des nuages célestes, survint quelqu’un qui ressemblait à un fils de l’homme ; il arriva jusqu’à l’Ancien des jours, et on le mit en sa présence. C’est à lui que furent données la domination, la gloire et la royauté ; l’ensemble des nations, peuples et langues lui rendaient hommage. Sa domination était une domination éternelle, immuable et sa royauté ne devait plus être détruite » (verset 13-14).

On remarque d’emblée que dans la vision de Daniel, l’avènement de cette dernière royauté est distinct des événements précédents ; il apparaît même comme une nouvelle vision : « Je regardai encore ». Sans équivoque, cela désigne l’ordre exact des événements : en un premier temps, les Empires seront rabaissés, et ensuite seulement surviendra le règne du Machia’h. Nos Sages ont d’ailleurs mentionné cette succession d’événements explicitement : « Dans les temps futurs, les enfants d’Ichmaël susciteront trois guerres chaotiques, comme il est dit (Ichaya 21, 15) : ‘Devant les glaives ils ont fui…’ – le premier combat sera sur la mer : ‘…devant les épées tranchantes…’ ; le second combat aura lieu dans les champs : ‘…devant les arcs tendus…’ ; le troisième combat, le plus rude, aura lieu dans la métropole de Rome comme il est dit : ‘…devant la violence des combats’. C’est alors que surviendra le fils de David, il assistera à la perte de l’un et de l’autre et de là, il se rendra en Erets-Israël comme il est dit : ‘Qui viendra d’Edom, les vêtements teints de rouge’ (Ichaya 63, 1) ».
Comme nous le voyons de ce texte, les temps messianiques débuteront avec la chute de Rome – ou plus précisément, comme nous l’avons vu, du pouvoir émanant de Rome – et c’est seulement ensuite que se manifestera le Machia’h. Rachi, à la fin de Daniel (12, 12), cite d’ailleurs un Midrach selon lequel le Machia’h, après s’être révélé, se « voilera » pendant 45 ans, après quoi son règne débutera concrètement.

Dans cette vision, on apprend en outre que cet homme surviendra « du sein des nuages célestes ». Selon les commentateurs, l’évocation de ces nuages renvoie à trois idées essentielles. Premièrement, les nuages filtrent la lumière du jour et l’empêchent d’éclairer correctement la surface de la terre. De la même manière, la rédemption surviendra à partir d’une relative obscurité, c’est-à-dire dans un climat d’épreuves et de douleurs, dont la rigueur constituera l’amorce de la délivrance.
Par ailleurs, en observant le ciel par temps nuageux, on s’aperçoit qu’il peut se couvrir ou se dégager à une allure phénoménale et qu’en dépit de leur densité, les masses nuageuses se déplacent à un rythme étourdissant. Ceci révèle un second point relatif aux temps messianiques : les événements surviendront d’une manière aussi dense que fulgurante et sans que quiconque ne puisse les prédire, les faits conduiront l’histoire à sa finalité à une allure hallucinante. Enfin, ces « nuages célestes » sont également une allusion aux Nuées célestes qui entouraient les enfants d’Israël dans le désert : de la même manière qu’au sortir de l’Egypte, D.ieu guida chacun de leur pas tout au long du périple du désert, ainsi dans les temps futurs, tous les événements se dérouleront sous le sceau d’une assistance divine accrue.

A ce fils de l’homme « furent données la domination, la gloire et la royauté ». Ces trois dimensions représentent ce qui avait été ôté du peuple juif pendant toute la durée de l’exil, à savoir la vaillance, la dignité et la souveraineté. Lorsque le Machia’h règnera sur le peuple juif, il lui rendra tous ces attributs, au point où « l’ensemble des nations, peuples et langues lui rendront hommage ».
Il est également annoncé que « sa domination sera une domination éternelle, immuable et sa royauté ne devra plus être détruite » : cette rédemption ne sera pas semblable à la sortie d’Egypte ou au retour de Perse, car désormais plus jamais les nations du monde ne domineront le peuple juif.

La date de la venue du Machia’h

Dans la suite de ce premier songe, Daniel voit apparaître un ange, comme nous l’avons vu la semaine passée. Après lui avoir révélé le sens de la quatrième et plus terrible des bêtes, l’ange conclut : « Tous seront livrés entre ses mains durant une période, deux périodes et une demi-période. Puis la cour de Justice tiendra séance et on lui enlèvera le pouvoir de façon à le détruire… » (versets 25-26). Autrement dit, le terme de la domination de ce quatrième et dernier exil surviendra après les « périodes » énoncées ici. Or, comme le dit Rachi, « la date de ce terme est obscure, comme il est annoncé à Daniel dans sa dernière vision : ‘Tiens cachées ces révélations’ (12, 4), et les commentateurs l’ont élucidée chacun selon sa propre interprétation, mais toutes les dates avancées sont à présent déjà révolues… ».

Rachi ne manque cependant pas de rapporter une interprétation – celle de rav Saadya Gaon – renvoyant à une date ultérieure à son époque. D’après lui, la délivrance viendra au terme « d’une période » elle-même composée d’en tout « deux périodes et demi ». Ces deux « périodes » sont l’addition du temps qui s’écoula entre la sortie d’Egypte et la construction du Premier Temple – à savoir 480 ans – et celui que dura le Premier Temple – 410 ans. A ce total de 890 ans, il convient d’ajouter « une demi-période » – 445 ans – pour obtenir un total de 1335. Ce nombre, conclut Rachi, est d’ailleurs évoqué par allusion dans le verset : « Et Moi, Je voilerai Ma Face » [Haster Astir], dont la valeur numérique équivaut à ce total.
Ce total correspond d’ailleurs à une autre annonce faite à la fin du Livre de Daniel, dans sa dernière vision : « Heureux celui qui attendra avec confiance, et qui verra la fin des mille trois cent trente cinq jours [ou ans] ».
C’est donc plus de treize siècles après la destruction du Temple que devrait survenir la rédemption finale, c’est-à-dire en l’an 5157 depuis la Création du monde (1397 de l’ère commune).

Le Ramban a une toute autre approche de ces « périodes ». Premièrement, « une période, deux périodes et une demi-période » reviennent selon lui à dire 3 périodes et demi. Ensuite, l’unité de cette « période » fut selon lui révélée à Avraham, lors de l’Alliance de Ben haBétarim, et correspond donc à la somme des quatre cents ans de l’exil égyptien et des quarante ans du désert. Ce qui revient en bref à un total de 1540 ans.

Par ailleurs, le Ramban considère que ces « périodes » n’ont pas pour point de départ la destruction du Temple, mais elles désignent en réalité la durée totale du Quatrième empire. La domination de Rome sur l’empire précédent, la Grèce, débuta en effet avec les guerres puniques et s’imposa environ 205 ans avant la destruction du Temple, aux alentours de l’an 135 avant l’ère commune, peu après la chute de Carthage et l’établissement d’un pouvoir permanent sur la péninsule grecque (ces 205 ans de domination romaine ajoutés aux 1335 ans annoncés dans la dernière vision de Daniel correspondent aux 1540 ans de ces trois périodes et demi). En conclusion, la domination de Rome devra s’achever en l’an 5163 de la Création du monde, à savoir en l’an 1403 de l’ère commune.
L’Abarbanel, pour sa part, considère que ces périodes [idane] font référence à une heure où le peuple juif connut une grâce [idoun] et une sérénité relative, c’est-à-dire pendant toute la durée d’existence du Temple de Chlomo (410). Ces trois périodes et demi correspondent donc à 1435 années qui, additionnées à la date de la destruction du Temple, renvoient à l’an 5263 (1503).

A une époque plus contemporaine, le Malbim rapporte un calcul similaire à celui de l’Abarbanel, selon lequel la période de base est bien les 410 ans du Premier Temple. A la différence près que selon lui, la demi-période n’est pas la moitié d’une unité, mais celle du total des trois périodes : « Une période, deux périodes » plus la moitié de cette addition (1230), c’est-à-dire 615, ce qui donne un total de 1845 ans. Cet auteur avança donc l’hypothèse que la délivrance était prévue pour l’an 5673 (1913 de l’ère commune).
Ces différents termes, malheureusement, se sont tous avérés erronés. Rachi l’a d’ailleurs précisé en préambule de son commentaire : ces calculs ne relèvent que de conjectures hasardeuses, et peuvent s’avérer aussi incorrectes que les nombreuses autres qui les ont précédées. Néanmoins, on ne peut affirmer pour autant que ces supputations fussent, à proprement parler, fausses. L’une ou l’autre de ces dates pouvaient effectivement receler un grand potentiel de délivrance, que le peuple juif n’a regrettablement pas réussi à exploiter convenablement.

 

Révélations

Une autre référence ayant émis un avis sur la question est le Gaon de Vilna. Dans son commentaire sur Sifra déTsniouta (ouvrage attribué à Yaacov Avinou), le Gaon de Vilna écrit, dans un langage réservé aux initiés, un calcul précis grâce auquel il détermine la date de la venue du Machia’h. Mais même parmi les plus grands érudits, bien peu sont capables d’élucider le sens de ces révélations. En conclusion de cette annonce, le Gaon de Vilna écrit : « J’interdis à quiconque, par serment solennel dans le D.ieu d’Israël, de révéler la date de la délivrance ! »…
A ce sujet, on raconte que du temps de rav ‘Haïm de Volhozin, le plus fidèle disciple du Gaon, un brillant élève déclara un jour qu’il pensait avoir résolu ce calcul énigmatique. Mais lorsque rav ‘Haïm lui avait demandé d’énoncer son explication, cet élève avait refusé de lui répondre, par crainte du serment du Gaon de Vilna. Mais rav ‘Haïm n’en démordit pas : il ordonna à son élève de lui révéler son calcul ! Or à l’instant même où le jeune homme allait s’exécuter, sa bouche se déforma et il fut dès lors incapable de prononcer le moindre mot… Rav ‘Haïm se rendit alors sur la tombe de son maître, et l’implora d’épargner son élève du terrible serment. Ses prières furent exaucées, et le jeune disciple guérit.

Des années plus tard, alors que sévissait le décret des « Cantonnistes » – ces enfants que l’armée russe enrôlait en bas âge pour un service militaire de vingt ans –, un congrès général rassembla tous les grands Rabbanim de l’Europe de l’Est à St-Petersburg. Dans le climat régnant, et à l’évocation des nombreux décrets qui s’abattaient alors sur le peuple juif, l’un des Rabbanim présents se leva et déclara : « Ces décrets sont d’une telle ampleur, qu’ils sont peut-être les signes avant-coureurs de la venue du Machia’h ». Ces mots – qui exprimaient fort ce que beaucoup pensaient tout bas – suscita une vive émotion au sein de l’assemblée : « Peut-être est-ce réellement le Machia’h »…

Un vieux rav, dont peu avaient remarqué la présence jusque-là, demanda alors à prendre la parole. Lorsque le silence se fut installé, il prononça les mots suivants : « Messieurs, j’ai entendu des voix s’élever en affirmant que ces événements seraient peut-être l’annonce du Machia’h : je tiens à vous assurer qu’il n’en est rien ! Si vous vous demandez comment je peux avoir cette assurance, sachez que dans le commentaire du Gaon de Vilna sur le Sifra déTsniouta, il établit le calcul de l’avènement de la délivrance, et j’ai moi-même la certitude d’en connaître la signification. Je peux donc vous assurer que le Machia’h n’est pas encore sur le point d’arriver…
Mais par ailleurs, la réaction qu’a suscitée chez vous cette annonce m’a hautement inquiété. Car je me dis que si une telle rumeur devait se propager parmi le peuple, la déception qui s’ensuivrait pourrait avoir des conséquences terribles sur le moral collectif. Or, je suis persuadé que si le Gaon de Vilna avait su que nous en viendrions à une telle situation, il nous aurait sans aucun doute déliés de son serment ».

Reprenant son souffle, l’orateur prit un ton solennel et poursuivit : « Pour le bien du peuple juif, je vous annonce donc que la date de la venue du Machia’h, selon le compte du Gaon de Vilna, est prévue pour l’an… ». Mais le vieux rav ne put achever sa phrase : au moment où il s’apprêtait à annoncer la date, il fut pris d’une attaque soudaine et il tomba raide mort… (récits rapportés par rav Yé’hezkel Avramski zatsal, cités dans le « Ouvdot véHanhagot leBeth Brisk).

Par Yonathan Bendennnoune, Hamodia-Edition Française