« J’ai supplié Hachem, en ce temps-là, en disant… (3, 23)

Une prière, observe le Or ha-‘Hayim, doit posséder quatre qualités pour être agréée :Tout d’abord, on doit la prononcer le cœur brisé, comme un pauvre qui vient mendier son pain aux portes.
En deuxième lieu, il faut supplier Hachem d’accueillir notre prière dans Sa miséricorde.Ensuite, le moment où on la récite doit être approprié.

Et enfin, elle doit être clairement exprimée et ne receler aucune ambiguïté.
L’imploration de Moché possédait ces quatre caractéristiques. Il a d’abord « supplié », c’est-à-dire qu’il s’est exprimé depuis les profondeurs de son cœur ; « Hachem », ce qui signifie qu’il a fait appel à Sa miséricorde, (le Tétragramme étant une désignation de cet Attribut) ; « en ce temps-là », car il savait que c’était un moment de grâce ; « en disant », sa requête ayant été claire et sans équivoque.

Rav ‘Hayim Falagi fait remarquer que Yirmeya (Jérémie) a usé des mêmes critères lorsqu’il a prié pour Israël au moment de la destruction du Temple : « J’ai invoqué Ton nom, Hachem, de la fosse des abîmes, car Tu as entendu ma voix. Ne dérobe pas Ton oreille à ma prière. Tu T’es approché le jour où je T’ai invoqué… » (Eikha 3, 55 et suivants). Le cœur brisé du prophète est représenté par : « de la fosse des abîmes » ; il s’est adressé à la miséricorde divine par les mots : « J’ai invoqué Ton nom, Hachem ». Quant aux mots : « ne dérobe pas Ton oreille à ma prière », ils montrent que sa supplication était claire et compréhensible ; et l’expression « Tu T’es approché le jour où je t’ai invoqué » souligne que Yirmeya a choisi un moment adéquat pour prier.

J’ai supplié Hachem. (3, 23)

Pourquoi Moché n’a-t-il pas prié de même pour son frère Aharon ? Quand Hachem lui a enjoint (Bamidbar 20, 25 et suivants) de prendre les vêtements d’Aharon et de les remettre à son fils El‘azar, explique le Oznayim la-Tora, Moché a compris qu’il ne servirait à rien de supplier. Il était clair que le moment était venu de faire accéder El‘azar à la dignité de kohen gadol (« grand prêtre »). Une fois le remplacement opéré, il devenait impossible à Aharon de demeurer en vie puisque, comme enseigné par le Talmud (Yoma 38b), deux royautés ne doivent jamais empiéter l’une sur l’autre.
En revanche, quand le Saint béni soit-Il a ordonné à Moché d’aller sur le mont des ‘Avarim pour y mourir (Bamidbar 27, 12), Yehochou‘a n’avait pas encore été désigné comme son successeur. C’est pourquoi il a considéré que ce commandement n’écartait pas la possibilité d’une prière. C’est seulement lorsqu’il a reçu l’ordre de nommer celui qui le remplacerait à la tête du peuple qu’il a compris que toute supplication serait inutile.

J’ai supplié Hachem. (3, 23)

Le mot waèth‘hanan, fait observer Rachi en s’appuyant sur le Midrach, implique que Moché aurait voulu pouvoir entrer en Erets Yisrael par l’effet d’une grâce divine. Car même si les justes peuvent, dans leurs prières, s’appuyer sur leurs bonnes actions, nous voyons ici – Moché ayant « supplié » et non « prié » – qu’il vaut mieux qu’un tsaddiq sollicite une faveur divine comme un don gratuit (‘hinam).
Celui qui croit mériter une récompense pour ses mitswoth peut-il être considéré comme un tsaddiq ? s’étonne le Rabbi de Kotzk. Et ce Maître d’expliquer : En réalité, quand Rachi parle d’une requête qui s’appuie sur des bonnes actions, il ne pense pas aux mitswoth que le tsaddiq a déjà accomplies, mais à celles qu’il exécutera plus tard et pour le mérite desquelles il peut supplier Hachem de le maintenir en vie.
Nous comprenons mieux, dès lors, ce que veut dire la Guemara quand elle rapporte au nom de Rabbi Simlaï (Sota 14a) : « Moché avait-il besoin de manger des fruits [d’Erets Yisrael ? En d’autres termes : Sa requête pour pouvoir y entrer s’appuyait-elle sur un besoin personnel ?] En réalité, [s’il a supplié Dieu de lui permettre d’y pénétrer, c’est à cause des] nombreuses mitswoth attachées [à ce pays, et qui ne peuvent être observées que dans son territoire]. » Dans ces conditions, il aurait pu demander à Hachem de le laisser s’y introduire afin de réaliser plus de mitswoth. Malgré cela, il L’« a supplié », c’est-à-dire qu’il Lui a demandé d’exaucer sa requête à titre de don et non comme récompense. »