Au début de Vaéra, D.ieu annonce à Moché : « Je suis l’Eternel. Je suis apparu à Avraham, Its’hak et Yaacov sous la désignation de ‘Kel Chakaï’, sans jamais leur révéler Mon Nom immuable (le Tétragramme) » (Chémot 6, 2-3).
Quel est Son Nom ?
C’est environ en ces termes que le premier verset de notre paracha doit être lu selon l’approche de Rachi (cf. Ramban qui émet plusieurs autres explications). Avec ces mots, D.ieu révèle à Moché le Tétragramme, par lequel Il formule des promesses et les accomplit aux yeux des hommes. Aux patriarches en revanche, D.ieu ne S’était révélé que par le Nom sacré de « Kel Chakaï », lequel ne renferme pas nécessairement l’accomplissement des promesses formulées.

Rachi ajoute un peu plus loin (verset 9) que selon les Sages du Midrach, ces propos sont un reproche implicite formulé à Moché, pour avoir protesté : « Dans quel but M’as-tu envoyé ? Depuis que je me suis présenté à Pharaon pour parler en Ton Nom, le mal frappe ce peuple, sans que Tu ne le délivres » (fin de parachat Chémot 5, 23). Selon le Midrach, cette protestation est vivement réprouvée par D.ieu : « Grande est la perte de ceux qui ne sont plus et que l’on ne peut oublier ! Combien dois-Je Me plaindre de la mort des patriarches ! Car Je me suis révélé à eux à de nombreuses reprises sous l’appellation de ‘Kel Chakaï’, et jamais ils ne m’ont demandé : ‘Quel est Ton Nom !’. Alors que toi, tu m’as aussitôt dit : ‘S’ils me demandent quel est Son Nom, que devrais-je leur dire ?’ (3, 13) ».

On remarque clairement que le reproche fait à Moché réside précisément dans cette dernière requête : « S’ils me demandent quel est Son Nom ? ». Ce qu’il convient de comprendre.

Voir le bien du mal
Revenons à un Rachi précédant, sur le verset 3 : « ‘Sans jamais leur révéler [nodati] Mon Nom immuable’ – il n’est pas écrit ‘hodati’ [faire connaître, informer] mais bien ‘nodati’, c’est-à-dire que Je ne me suis jamais fait connaître d’eux sous ma vertu de Vérité, par laquelle on M’appelle : l’Eternel, chez Qui la parole se vérifie ».
En d’autres termes, le Nom du Tétragramme constitue la perception la plus élevée que les hommes ont de la Divinité. C’est pourquoi ce Nom exige l’accomplissement des promesses, car aux yeux des hommes, il évoque le plus haut niveau de la Vérité divine.
Par conséquent, lorsque Moché dit à D.ieu : « S’ils me demandent quel est Son Nom, que devrais-je leur dire ? », il ne s’agit nullement d’un manque de foi. Moché demande en fait d’accéder à une perception supérieure de Sa Réalité, laquelle exigera que les promesses s’accomplissent. Et ceci, parce que Moché refusait que le peuple hébreu endure davantage, et qu’il ne mérite toujours pas de voir la délivrance se réaliser. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’il fut en butte au refus de Pharaon, il s’exclama : « Dans quel but M’as-tu envoyé ? » – si ma mission doit se solder sur de nouveaux tourments pour les enfants d’Israël, je refuse d’y prendre part !

Cette démarche de Moché était motivée par son souci du bien-être de ses frères. Néanmoins, on la lui reprocha car jamais l’homme ne doit s’immiscer dans la manière dont D.ieu dirige le monde. Et s’il a été décrété En-Haut que les promesses ne devraient pas encore se réaliser – comme ce fut le cas pendant toute la durée de vie des patriarches –, c’est que le Bien absolu réside précisément là, et nulle part ailleurs. La confiance absolue en D.ieu exige en effet d’accepter « le mal de la même manière que l’on accepte le bien » (d’après la michna Bérakhot 9, 5). Non pas « d’endurer » le mal, mais au contraire, de ne le voir que comme un expédient nécessaire pour aboutir au bien ultime. Et refuser de voir le « mal » que D.ieu envoie, c’est en quelque sorte refuser de voir Son Bien.

Périple avec un prophète

Il existe beaucoup d’anecdotes, dans l’histoire de notre peuple, qui témoignent de ce « regard d’espoir » qu’il nous incombe de porter sur les événements apparemment malheureux. Un célèbre Midrach, rapporté dans le Yalkout Sipourim au nom de rav Nissim Gaon, raconte que Rabbi Yéhochoua ben Lévi implora D.ieu qu’Il lui montre comment Il administre le monde. Sa requête fut agréée et il eut le mérite de suivre le prophète Eliyahou tout au long de plusieurs « missions » qui lui avaient été confiées. En contrepartie, le maître s’était engagé à ne pas poser une seule question pendant tout le périple.

Le prophète et le Sage prirent donc la route, et arrivèrent près d’une masure, où un vieux couple les accueillit comme des princes et leur offrirent tout ce que leurs modestes moyens leur permettaient. Le lendemain, au moment de quitter leur maison, le prophète Eli pria D.ieu que l’unique vache du foyer, dont ils tiraient leur subsistance, meure. A peine se furent-ils éloignés que la vache s’effondra, morte sur le coup.

Poursuivant leur route, les deux hommes arrivèrent près d’une somptueuse demeure, dans laquelle ils espéraient trouver le gîte. Mais ils furent bien en peine : malgré sa grande richesse, le maître de maison ne leur accorda aucune attention, les traitant comme de vulgaires mendiants. Bon gré mal gré, il les laissa dormir dans la cour de sa demeure, et ne leur servit pas même le plus petit repas. Le lendemain, au moment de quitter les lieux, Eliyahou s’adressa à D.ieu en Lui demandant de reconstruire miraculeusement l’un des murs de la propriété qui s’était effondré quelques temps auparavant.

Reprenant la route, Eliyahou et Rabbi Yéhochoua ben Lévi atteignirent une ville, visiblement très prospère, où ils eurent à nouveau le plus grand mal à se faire héberger. Ne recevant qu’un bout de pain et un peu d’eau à boire, ils durent passer la nuit à même un banc, dans la synagogue. Avant de la quitter, Eliyahou pria que D.ieu « que tous les habitants de cette ville deviennent des notables ».

Enfin, arrivés dans une autre ville, ils eurent droit là à un accueil des plus somptueux, en ayant le sentiment que tous les habitants se réjouissaient de recevoir des étrangers parmi eux. Cette fois-ci encore, Eliyahou formula une prière des plus étranges : « Qu’un chef unique prenne le pouvoir dans cette ville ».
A ce moment, le Sage de la Michna n’y tint plus : « Comment, s’exclama-t-il, peux-tu récompenser ainsi les mécréants, et punir les hommes bons ? ».

« Dans la mesure où tu as rompu notre accord, répondit le prophète Eli, nous allons devoir nous séparer. Mais avant de te quitter, je souhaite t’expliquer ma manière d’agir : la femme du premier couple qui nous a accueillis était censée mourir le lendemain de notre visite. C’est pourquoi j’ai prié D.ieu de la laisser en vie, et de faire mourir à sa place leur unique vache. Certes, il s’agissait là d’un grand malheur pour ce couple, mais ne penses-tu pas que cet homme aurait été prêt à céder tout ce qu’il possède pourvu que sa femme reste en vie ?

L’homme riche et avare, qui nous a ensuite accueillis, ignore que derrière son mur effondré se cache un véritable trésor. S’il avait reconstruit son mur lui-même, il l’aurait assurément découvert. Par la faute du miracle, il ne découvrira donc jamais ces richesses.
Pour les habitants de la ville prospère, j’ai prié qu’ils deviennent tous des chefs. Tous décidés à prendre le contrôle, le chaos finira par régner et jamais plus ils ne connaîtront la sérénité. Inversement, pour les hommes qui nous ont accueillis généreusement, j’ai imploré D.ieu qu’un seul chef juste et bon les dirige, afin qu’ils vivent sous son autorité dans la paix et le bonheur.

A présent, dis-toi seulement que les chemins de D.ieu sont voilés : tout ce qui paraît bon ne l’est pas nécessairement, et tout le mal que nous voyons n’est pas nécessairement mauvais ! ».

Pendant la Shoah

Peu avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de Juifs d’Europe de l’Est parvinrent à se procurer un laissez-passer pour la Grande-Bretagne. Mais si ces Juifs obtinrent un permis de séjour provisoire, le gouvernement n’envisageait nullement de leur octroyer la nationalité anglaise. Lorsque la guerre éclata, les autorités craignirent que, parmi ces nombreux immigrants, se cachent des espions à la solde des nazis. La décision fut donc pris de déplacer tous ces hommes et femmes jusqu’à la lointaine Australie, jusqu’à la fin de la guerre.

Un célèbre Roch Yéchiva d’Angleterre relata cette fameuse épopée, à laquelle avait pris part son propre frère. Il raconta notamment qu’au beau milieu du trajet, le capitaine de l’un de ces bateaux fut informé d’une débâcle que venait de subir l’armée anglaise face aux forces nazis. Bouleversé par ces nouvelles du front, le marin décida d’exercer sa « vengeance » sur les voyageurs allemands qu’il transportait, et jeta à la met la totalité de leurs bagages. Et voici que ces pauvres Juifs, fuyant la terreur nazie, en route vers l’inconnu, se voient à présent privés des maigres biens encore en leur possession.

Bien des années plus tard, des études furent menées sur de nombreux épisodes de la guerre, et des faits étonnants furent mis au jour. On découvrit ainsi que pendant toute cette période, les sous-marins allemands sillonnaient la Manche et l’Atlantique, et prenaient systématiquement en chasse les bateaux à pavillon britannique.

Une fois cependant, le capitaine d’un bâtiment anglais avait décidé, pour une raison alors inconnue, de jeter à l’eau tous les bagages des passagers. Les soldats allemands recueillirent quelques valises, et en les ouvrant, ils découvrirent des lettres écrites en allemand. Pour eux, la conclusion ne fit aucun doute : ce bateau transportait des prisonniers allemands ! Ils décidèrent donc d’épargner ce bâtiment anglais, et ils ne le coulèrent finalement que pendant son trajet de retour… (histoire racontée dans le Chéal Avikha Véyaguedkha).

Voilà un exemple vivant de la manière dont un acte cruel peut amener, au bout du compte, le sauvetage de centaines de personnes.

Par Yonathan Bendennnoune en partenariat avec Hamodia