Toute personne ne pouvant dormir dans la Soucca à cause de la pluie n’a pas besoin d’attendre, elle est autorisée à la quitter sur le champ pour finir sa nuit sous le toit de sa maison, Ndlr.]. A quoi cela ressemble-t-il ? Au cas d’un serviteur qui se rend auprès de son maître pour verser de l’eau dans son vin (liMzog lo kos). Et il lui jette [le contenu de] la carafe au visage ».
C’est sur cette dernière partie de la Michna que nous allons nous pencher.
Qui jette sur qui ?

La dernière Michna du deuxième chapitre du Traité Soucca enseigne : « Pendant sept jour, tout homme fera de sa Soucca une [demeure] fondamentale (kéva) et de sa maison un [lieu de séjour] éphémère (araï). [On déduit de cette phrase qu’il incombe à chacun d’introduire dans sa Soucca les plus beaux objets dont il dispose, et une Braïta d’ajouter qu’il faudra y boire et y manger, s’y promener (léTayel ba) et y étudier, Ndlr.]. Si les pluies tombent, à partir de quand est-il permis de quitter la Soucca [et de finir son repas dans sa maison] ? [Il convient de faire remarquer ici que nos Sages n’obligent pas à séjourner contre son gré dans la Soucca toute personne qui, pour des raisons qui lui sont personnelles, comme la chaleur ou la présence de moustiques, ne le supporte pas (mistaèr), Ndlr.] A partir du moment où le dîner s’abîme. [Le terme utilisé ici par la Michna pour désigner le dîner est « haMikpa ». Il concerne tout plat cuisiné qui n’est ni complètement liquide ni complètement sec. Rappelons par ailleurs que cette mesure du « dîner qui s’abîme » est utilisée afin d’autoriser à quitter la Soucca alors qu’on est en train d’y prendre son repas. En revanche, toute personne ne pouvant dormir dans la Soucca à cause de la pluie n’a pas besoin d’attendre, elle est autorisée à la quitter sur le champ pour finir sa nuit sous le toit de sa maison, Ndlr.]. A quoi cela ressemble-t-il ? Au cas d’un serviteur qui se rend auprès de son maître pour verser de l’eau dans son vin (liMzog lo kos). Et il lui jette [le contenu de] la carafe au visage ».
C’est sur cette dernière partie de la Michna que nous allons nous pencher.
Qui jette sur qui ?
La Guémara (p.29/a) demande : « Qui jette sur qui ? ». Puis elle répond : « Comme il a été enseigné : « Le maître lui jette [le contenu de] la carafe au visage et lui dit : – Je n’ai que faire de tes services ! » ». Et Rachi de commenter : « Qui jette sur qui ? Le serviteur sur son maître ? Auquel cas, c’est de cette manière qu’il faut lire [la Michna] : A quoi cela ressemble-t-il ? Au cas d’un serviteur qui servirait son maître de manière inappropriée. Ainsi, il est rendu évident [par le fait de devoir sortir de la Soucca et de ne pouvoir accomplir la mitsva, Ndlr. – cf. Maharchal] qu’Israël n’exécutent pas son service comme il se doit. Ou bien faut-il lire cette Michna ainsi ? C’est le maître qui lui jette [le contenu de] la carafe au visage, lui déclarant : – Hors de ma vue, car je n’ai que faire de tes services ! Et la chute des pluies correspondrait alors au fait de jeter [l’eau de] la carafe. Or, quoi qu’il en soit, bien que la chute des pluies [alors que l’on se trouve dans la Soucca] constitue un mauvais signe (siman klala). Le Talmud s’interroge pourtant sur le sens à donner à cette Michna : à quoi correspond le fait de jeter [l’eau de] la carafe ? Au fait [de ne pas accomplir la mitsva] de s’asseoir dans la Soucca ou à la chute des pluies ? ».
Le Maharcha s’interroge sur cette dernière affirmation du maître de Troyes : « le Talmud s’interroge pourtant sur le sens à donner à cette Michna : à quoi correspond le fait de jeter [l’eau de] la carafe ? Au fait [de ne pas accomplir la mitsva] de s’asseoir dans la Soucca ou à la chute des pluies ? ». Car, s’étonne-t-il, on ne voit pas en quoi la mitsva de s’asseoir dans la Soucca pourrait être mise en relation avec le fait de jeter [l’eau de] la carafe. Voilà pourquoi, le rav Chmouel Eliézer haLévy Edels propose l’explication suivante : dans la première hypothèse de la Guémara, il s’agit bien de mettre en relation le fait que le serviteur jette effectivement [l’eau de] la carafe sur son maître avec la chute des pluies – et non, comme l’a fait Rachi avec le fait de ne pouvoir accomplir la mitsva Soucca. « En effet, écrit-il, bien que les pluies ne viennent que du ciel seulement [sous-entendu ici : du Maître, le Saint béni soit-Il], c’est l’homme [le serviteur] qui, à cause de ses fautes, les provoque pendant les fêtes, révélant alors le fait qu’elles constituent un mauvais signe (siman klala). Car, quoi qu’il en soit, lorsque c’est le serviteur qui jette le contenu de la carafe, force est de reconnaître que la carafe appartient toujours au maître et jamais au serviteur… ». En d’autres termes : le fait de « jeter [l’eau de] la carafe » est donc toujours à mettre en rapport avec la chute des pluies – qu’elle soit l’œuvre du Maître ou de Son serviteur, Israël, puisque celle est forcément l’expression des mauvais signes dont se sert l’Eternel (comme le montre la suite de la page du Traité talmudique Soucca précité) pour juger le monde. Et le doute de la Guémara consistait uniquement à déterminer si ce mauvais signe est la conséquence de nos fautes commises ici-bas, réponse : non. Puisqu’en définitive, une Braïta l’a prouvé : « Le maître lui jette [le contenu de] la carafe au visage et lui dit : – Je n’ai que faire de tes services ! » ».
Les eaux de libation
On remarquera que les deux explications, celles de Rachi et celles du Maharcha, sont en réalité très proches l’une de l’autre. Pour Rachi aussi, dans la première hypothèse évoquée par la Guémara – celle du serviteur qui verse [le contenu de] la carafe au visage de son maître, il s’agit bien du cas « d’un serviteur qui servirait son maître de manière inappropriée ». On reconnaîtra aussi que, pour Rachi, il n’a jamais été question d’ignorer l’enseignement de la Michna, savoir que « Si les pluies tombent [Cela ressemble] au cas d’un serviteur qui se rend auprès de son maître pour verser de l’eau dans son vin (liMzog lo kos). Et il lui jette [le contenu de] la carafe au visage ». C’est donc bien les pluies qui provoquent la sortie de la Soucca puisque, comme il le souligne : « Dans tous les cas, la chute des pluies [alors que l’on se trouve dans la Soucca] constitue un mauvais signe (siman klala) »
Quel est donc alors le sens de l’affirmation du maître de Troyes quand il ajoute à la fin de son commentaire : « Le Talmud s’interroge pourtant sur le sens à donner à cette Michna : à quoi correspond le fait de jeter [l’eau de] la carafe ? Au fait [de ne pas accomplir la mitsva] de s’asseoir dans la Soucca ou à la chute des pluies ? » Qu’est-ce qui l’a fait opter pour faire dépendre le fait de jeter [l’eau de] la carafe du fait de s’asseoir dans la Soucca ?
Afin de répondre à ces questions, on posera l’hypothèse suivante : il n’est pas sûr que Rachi soit du même avis que le Maharcha sur un point qui semble pourtant aller de soi, lorsque ce dernier affirme : « les pluies ne viennent que du ciel seulement ». Car, ce que la fête de Souccot nous montre, c’est précisément l’idée que les pluies sont le résultat d’une avoda de l’homme. Ainsi que l’enseigne le Traité talmudique Roch haChana (p.16/a et 16/b) : lors de la fête de Souccot, ce sont les eaux de pluie qui sont jugées. Or, ce jugement est contemporain des libations d’eau – nissoukhé haMaïm – qui étaient effectuées au Temple à l’occasion des sacrifices de Souccot (cf. Bamidbar 29, 12-32 ; et surtout Rachi sur le verset 18, qui montre comment nos Sages ont déduit de l’Ecriture le commandement exceptionnel de ces libations d’eaux pendant les fêtes de Souccot).
Afin d’approcher un tant soit peu le sens de ces libations, il convient de s’arrêter sur ce qu’en dit Rabbénou Ba’hya dans son commentaire de la Torah (Vayikra 3, 13) : « Une alliance a été passée avec le sel lors des six jours de la Création. Il fut promis aux eaux inférieures (maïm ta’htonim) qu’elles seraient sacrifiées avec le sel et lors des libations d’eau de Souccot. Ainsi le Midrach enseigne que les eaux inférieures s’appellent des « eaux qui pleurent » (maïm bokhim). Car, lorsque le Saint béni soit-Il a séparé les eaux [comme il est dit : « Que la voûte céleste (rakia) prenne place au milieu des eaux et qu’elle sépare les eaux, les unes des autres. « Et D.ieu fit la voûte céleste, et Il sépara entre les eaux qui sont au-dessous de la voûte céleste et les eaux qui se trouvent au-dessus de la voûte céleste, et il en fut ainsi » (Béréchit 1, 6-7), Ndlr.], Il plaça celles-ci en haut, et celles-là en bas. Les eaux inférieures se mirent alors à pleurer, comme il est dit : « Des pleurs [émanant] des rivières, le pansement » (Job 28, 11). Ce que rabbi Aba interprète de la sorte : C’est dans les pleurs que les eaux inférieures se sont séparées des eaux supérieures. Elles s’exclamèrent : « Malheur à nous qui nous avons pas eu le mérite de monter dans le firmament afin de nous tenir à proximité de notre Créateur ! ». Que firent-elles alors ? Elles levèrent la tête, soulevant les abîmes afin de s’élever jusqu’au Ciel. Jusqu’à ce que l’Eternel se fâche, comme il est dit : « Celui qui trace un chemin dans la mer, une route à travers les eaux impétueuses » (Isaïe 43, 16), ou encore : « Il menace la mer et l’assèche, Il fait tarir tous les fleuves » (Na’houm 1, 4). Puis D.ieu dit : « Puisque vous vous êtes comportées de cette manière en mon honneur, les eaux supérieures n’auront pas la possibilité d’entamer un chant d’allégresse (chira) avant de vous en demander la permission, comme il est écrit : « Voici les grondements des eaux tumultueuses et terribles, ceux des fracas de la mer » (Psaumes 93, 3). Et que disent-elles ? « Le Nom est redoutable dans les Cieux » (Idem.). Mais ce n’est pas tout : dans le futur, vous serez sacrifiées sur l’autel avec le sel et lors des libations d’eau » ».
D’où vient la pluie ?
Les libations d’eaux effectuées pendant la fête de Souccot ont donc pour but de relier le monde d’en bas aux réalités supérieures. Et tel est le sens fondamental de la pluie dont nous commençons à souhaiter la venue juste à la sortie de la fête. Car, bien que les pluies « viennent du ciel », comme le souligne le Maharcha, force est de reconnaître que le propre de la fête de Souccot c’est bien de mériter ces pluies par le biais d’une œuvre (avoda) qui démarre d’en bas (voir Ari zal, Likouté Torah, paracha Chémot). Rappelons en effet ce commentaire de Rachi sur le verset : « D.ieu n’avait pas encore fait pleuvoir sur terre, et il n’y avait pas d’homme pour travailler la terre » (Béréchit 2, 5). « Ce n’est que lorsque l’homme fit son apparition – ayant pris conscience que les pluies étaient nécessaires au monde, il pria effectivement pour elles – que les pluies tombèrent et que se développèrent les arbres et les végétaux ». Car, à la différence des autres réalités naturelles qui relèvent pour ainsi dire d’une loi intangible, la pluie dépend de la avoda de l’homme, de son service, de sa prière. Elle est le révélateur de la place centrale qu’il occupe au milieu de l’univers. Les eaux de pluie sont donc, par essence, le résultat d’une action humaine, celle de notre volonté de dévoiler dans la nature la dimension métaphysique de notre présence au monde ; une dimension qui se révèle tout particulièrement pendant la fête de Souccot.
Ainsi, à propos du verset : « Loth leva les yeux et considéra toute la plaine du Jourdain, tout entière arrosée, avant que l’Eternel ne détruise Sodome et Gomore ; semblable au Jardin de D.ieu (kéGan haChem), à la contrée d’Egypte, et s’étendant jusque Tsoar » (Béréchit 13, 10), le Zohar enseigne : « Il est dit : « Et si certaines familles de la terre ne se rendent pas à Jérusalem afin de se prosterner devant l’Eternel Roi [à l’époque messianique, Ndlr.], elles ne connaîtront plus la pluie » (Zacharie 14, 17). La punition qui les attend est donc de ne plus connaître la pluie. Or, il est dit juste ensuite : « Et si la famille d’Egypte n’y monte pas pour faire ce pèlerinage, elle non plus ne sera pas indemne. Elle subira le fléau dont l’Eternel frappa tous les peuples qui n’auront pas fait le pèlerinage de la fête de Souccot [la fête de l’eau, Ndlr.] » (Zacharie 14, 18). Il ne pouvait en effet être question dans ce second verset de la pluie [c’est-à-dire de l’interruption des précipitations qui frapperait les peuples qui ne se rendraient pas à Jérusalem lors des fêtes de Souccot après le dévoilement du Messie, Ndlr.], puisque la pluie ne tombe pas en Egypte qui n’en a pas besoin. Quelle peut-elle être alors la punition qui frappera l’Egypte ? « Elle subira le fléau dont l’Eternel frappa tous les peuples qui n’auront pas fait le pèlerinage de la fête de Souccot » ».
Lors de l’avènement messianique (dont nous savons par tradition qu’il arrivera à son terme à Souccot, provoquant alors la guerre de Gog ouMagog, cf. Tour, Ora’h ‘Haïm, 490 et Maharal de Prague, Nétsa’h Israël, chap.37), il sera alors révélé aux nations du monde que les bienfaits et la réussite dont elles ont toujours joui tiraient leur réalité du Gan haChem. Elles seront alors contraintes de choisir entre deux attitudes : soit elles feront preuve de reconnaissance envers le Saint béni Soit-il et, se rendant à Jérusalem accompagnées de leurs offrandes afin de participer aux festivités de Souccot, elles se relieront à la finalité première de la nature. Soit, elles continueront à renier l’origine métaphysique de la bénédiction dont elles auront jusque-là profitée et, s’enfermant dans le masque de leur ingratitude, elles s’excluront d’elles-mêmes du principe sur lequel repose le monde. Elles seront alors définitivement séparées de ce qui les avait « gracieusement » liées au projet divin. « Elles ne connaîtront plus la pluie ».
On comprend maintenant mieux l’affirmation de Rachi : « Bien que la chute des pluies [alors que l’on se trouve dans la Soucca] constitue un mauvais signe (siman klala). Le Talmud s’interroge pourtant sur le sens à donner à cette Michna : à quoi correspond le fait de jeter [l’eau de] la carafe ? Au fait [de ne pas accomplir la mitsva] de s’asseoir dans la Soucca ou à la chute des pluies ? »…Par Yehuda-Israël Rück, en partenariat avec Hamodia.fr