Aborder rationnellement le thème de l’impureté n’est pas chose aisée. Si généralement, on conçoit cette notion une valeur purement spirituelle – fait exclusif d’une volonté de la Torah auquel on ne saurait attribuer aucune pathologique – certains critères de ce domaine tende à prouver qu’il n’en est rien.

De fait, si les conséquences de l’impureté sont surtout d’ordre spirituel, elle n’en découle pas moins de phénomènes physiques et observables. De plus, l’impureté s’avère être physiquement transmissible : que ce soit par le toucher ou par le port, que de manière aussi subtile que la présence d’un élément impur sous un même toit que le sujet infecté, la transmission de l’impureté passe néanmoins toujours par des principes rigoureusement observables.
Ce qui nous invite à tenter de reconsidérer cet ensemble de lois – qui forme à lui seul l’un des six ordres du Talmud, celui de Taharot – sous un nouvel angle.

Critères d’impureté

Dans la Torah, le thème de l’impureté est un sujet aussi vaste que complexe, et également très peu étudié dans la mesure où son application concrète est de nos jours fort restreinte. Dans cette branche, on apprend à distinguer les différentes sources d’impureté – chacune avec ses caractéristiques particulières –, leurs modes de transmission respectifs, les critères des éléments réceptifs à l’impureté ou encore les différentes méthodes de purification, pour peu que celle-ci soit envisageable…
Comme l’énonce le Rambam dans sa préface à l’ordre de Taharot, toutes les impuretés proviennent d’êtres vivants – homme ou animal –, exception faite de la tsaraat qui peut se manifester également sur le mur d’une maison ou sur des vêtements.
Chez l’homme, l’impureté la plus notoire est celle du cadavre – considéré comme le « père des pères de l’impureté » –, mais il y a aussi celle provenant d’écoulements impurs – deux catégories chez l’homme et deux chez la femme –, l’impureté successive à un accouchement ou encore celle consécutive à l’apparition d’une tsaraat.
Chez l’animal, l’impureté n’apparaît jamais de leur vivant : seul le cadavre d’une bête est susceptible de générer de l’impureté. Ici aussi, on distingue deux catégories d’impureté : celle d’un mammifère – qui ne survient que lorsque la bête n’est pas abattue rituellement au moyen de la che’hita – et celle des animaux rampants – qui ne concerne que les huit espèces d’animaux énumérés dans la paracha Chemini, tels que la taupe, la limace ou le hérisson. Ainsi, le corps d’un serpent mort, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne recèle aucune forme d’impureté…
Par ailleurs, l’ordre de Taharot nous apprend comment l’impureté peut être véhiculée d’un agent « porteur » à un sujet « réceptif ». Si le mode de transmission le plus courant est le contact physique, il en existe cependant de nombreux autres : par exemple, une bête morte rend impur celui qui la soulèverait simplement, sans même la toucher. Dans certains cas d’écoulements impurs, c’est même le banc sur laquelle on s’assoit – sans même le toucher – qui est à son tour rendue impur. Enfin, contact ténu s’il en est, la notion de ohel énonce qu’en passant seulement sous le toit qui abrite un mort ou une partie d’un cadavre, on « contracte » là aussi une impureté, en l’occurrence l’une des plus strictes qui soient (cf. 1er chapitre du traité Kélim).
Comme nous le voyons donc, l’impureté provient essentiellement de réalités physiques, depuis son émergence jusqu’à ses modes de « contamination », aussi subtiles soient-elles. En revanche, en ce qui concerne les conséquences de l’impureté et les modes de purification, c’est à un tout autre registre que nous devons nous référer. Ainsi, l’impureté a surtout pour effet de restreindre l’approche au domaine du « sanctifié ». Essentiellement, l’homme impur se voit interdit l’accès au Temple et la consommation de sacrifices ou de térouma. Et si l’on constate certaines exclusions – telles le métsora qui ne pourra pas même rester dans une ville entourée de murailles jusqu’à sa purification –, cela n’est précisément que l’effet de la sainteté inhérente à ces villes, elles-mêmes incarnant le « campement d’Israël » dans le désert. Il en résulte que fondamentalement, les séquelles de l’impureté ne se manifestent qu’à un niveau spirituel, et n’ont visiblement aucune conséquence matérielle pour l’homme contaminé…
De même en ce qui concerne les processus de purification : si l’immersion dans un mikvé – dont la pratique apparaît factuelle – représente l’une des formes de purifications les plus répandues, une part non négligeable de ces processus consiste cependant à approcher un sacrifice (comme c’est le cas du zav, d’une femme ayant mis au monde un enfant ou du métsora), ou encore à recevoir l’aspersion des « Eaux de la vache rousse » (pour tout contact avec un cadavre humain). Or ici aussi, ces modes de purifications sont représentatifs d’un registre purement spirituel, où la pureté ne survient visiblement pas en effaçant d’une quelconque manière les « souillures » du corps humain, mais en réhabilitant l’homme dans son rapport avec le « sanctifié » à un niveau exclusivement spirituel.

 

Errare humanum est

Cette dualité – ou plutôt cette conjonction entre domaine physique et spirituel – résulte du fait que tout éloignement spirituel puise sa source dans la réalité matérielle de l’homme. Autrement dit, ne serait-ce que parce que le corps aspire à rejoindre la terre d’où il fut créé, toute carence morale est due au défaut du corps, parce que toute réalité matérielle signifie par essence manque et imperfection.
Dans cet ordre d’idée, rav Its’hak Ben Arama, auteur du Akédat Its’hak (sur Tazria), énumère les différentes causes entraînant l’homme à la faute et à tout écart moral. Sans nullement remettre en cause la valeur de la Création divine, cet auteur explique que l’imperfection est inscrite dans la nature humaine parce qu’il est fait de chair et de sang, et il démontre par là que toute propension au mal découle invariablement d’un aspect de cette imperfection. Il cite ainsi l’exemple de l’influence : chez bon nombre de gens, le mal est toléré parce qu’il fait partie des mœurs et de la culture de leur environnement. Or en théorie, un homme fermement attaché à ses valeurs morales devrait pouvoir réchapper à ce genre d’influence ; pourtant la réalité est que cette attitude n’et pas innée dans la nature humaine : « La nature de l’homme est d’être influencé dans ses pensées et dans ses actes par ses proches et ses amis », déclare ainsi Maïmonide (Hilkhot Déot ch. 6). Il en va de même pour l’éducation : chacun agit suivant les principes inculqués durant son enfance, et toute déformation opérée au moule dans lequel on a façonné notre éducation sera toujours contre-nature.

Beaucoup d’hommes sont immoraux parce que dans leur plus tendre enfance, on leur a appris à l’être

En clair, le mal n’est pas inscrit par essence dans la nature humaine, mais il est le fruit de cette conjonction qui en fait un être doté d’une âme – spirituelle et éternelle – et d’un corps – imparfait par définition et porté à répondre à ses pulsions constitutives.
A la lumière des réflexions du Akédat Its’hak, nous comprendrons certainement mieux pourquoi les impuretés ne proviennent majoritairement que d’êtres vivants, tels que l’homme ou l’animal, dans la mesure où eux seuls sont composés à la fois d’un corps et d’une « âme de vie ». Car c’est bien cette union qui est à la source du « défaut » inhérent à leur existence, celui où l’émanation d’une perfection spirituelle doit résider dans un corps voué par essence à la perte.
Par conséquent, lorsqu’une impureté survient chez l’homme, il s’agit en vérité d’une part de cette imperfection qui se manifeste de la manière la plus de dense qui soit, un peu comme lorsque le corps humain rejette les déchets que renferme son organisme. Le cadavre d’un homme ou celui d’une bête, les plaies de tsaraat ou les écoulements impurs sont autant de preuve de ce mal intrinsèque à la nature des êtres vivants, qui surgit ici et là suite à une faute ou selon les circonstances.
Et donc, si l’impureté se manifeste effectivement à un niveau matériel, ses conséquences se font néanmoins ressentir le plus brutalement à l’échelle de la spiritualité humaine, parce que cette dernière est la plus « entachée » par les carences de la premières. Voilà pourquoi ce thème de l’impureté, loin de faire l’amalgame entre les domaines matériel et spirituel, se déclare en vérité le symptôme le plus manifeste de cette imperfection nécessaire de la nature humaine, qui est elle-même la cause de tous les maux de l’âme qui l’habite…

Par Yonathan Bendennoune, Hamodia