Dans le Midrach (Yalkout Chimoni, chapitre 29), on peut lire : « Rabbi Lévy a déclaré : ‘Le Saint Béni Soit-Il voulut gratifier le peuple d’Israël de fêtes à chacun des mois de l’été. En Nissan, Il lui donna Pessa’h. En Iyar, le ‘petit Pessa’h’. En Sivan, Il lui donna Atsérèt [Chavouot]. Et en Tamouz, D.ieu pensait leur offrir un grand rendez-vous (Moèd), mais les membres du peuple d’Israël firent le Veau d’or, au point où Tamouz, Av et Eloul furent annulés !

Il fallut donc que vienne le mois de Tichri pour qu’Il les acquitte en leur donnant trois fêtes : Roch haChana, Yom Kippour et ‘Hag haSouccot. Le Saint Béni Soit-Il dit alors : – Il satisfait les autres mois de l’année, et lui ne prend rien pour luimême !? Que le jour de Chmini Atsérèt [le huitième jour de Souccot-Ndlr] soit pour eux (une convocation sainte) !’. Tel est le sens du verset : ‘Donnes-en une part à sept, et même à huit’, (L’Ecclésiaste, 11, 2) ».

D’après ce texte, les mois de l’été devaient donc voir s’accomplir à travers eux l’essence même du peuple d’Israël depuis sa sortie d’Egypte jusqu’au don de la Torah, le 17 Tamouz. Au point où, le Saint Béni Soit-Il avait prévu de gratifier Son peuple d’une fête exceptionnelle dont nous ne connaîtrons en définitive la réalité, sur un mode pour ainsi dire inversé, qu’en ce jour solennel de Yom Kippour, appelé aussi le jour anniversaire du don de la Torah, « Yom ‘Hatounato ».

En effet, c’est le 17 Tamouz précisément, qu’apercevant le Veau d’or et les danses du peuple au pied du mont Sinaï, Moché Rabbénou laissa volontairement tomber les Tables de la loi qui se brisèrent au sol. Au point où nos Sages ont compris que cette date représente pour toutes les générations celle d’une apogée paradoxale : signe d’une disposition temporelle déterminée à l’accomplissement spirituel du peuple juif, mais par-là même, l’occasion des pires débordements ! Comme l’enseigne le Maharal de Prague au second chapitre de son livre « Nétsa’h Israël » où, commentant ce verset des Psaumes qui stigmatise le renversement qui se produisit au mont Sinaï – « Je vous ai proclamés enfants divins, tous fils du Ciel, pourtant vous mourrez comme des hommes, comme des princes vous tomberez », (Psaumes 82, 6-7) -, il écrit : « Au moment même où les membres du peuple recevaient la Torah, à cette heure précise où Israël avait atteint le plus haut niveau qui soit, où il avait franchi les bornes de l’humain, c’est précisément là que s’agrippa à eux une puissance capable de ramener au néant ce qui relevait alors de l’exceptionnel. Puisque c’est au moment précis où ils reçoivent la Torah, quand ils survolent tout, que la faute s’exprime en acte. Ni avant, ni après ».

En effet, explique ensuite le maître de Prague, tout ce qui est appelé à réaliser son essence en vertu d’une exigence de plénitude qui le commande, peut légitimement être considéré comme profondément déficient tant que cet état n’est pas atteint. C’est pourquoi, alors qu’il est sur le point de satisfaire à l’impératif qui commande son être – c’est-àdire à l’heure même du don de la Torah –, par le fait même que sa dimension ne se trouve pas encore dans sa plénitude en acte, le manque absolu s’attache ainsi au peuple d’Israël, provoquant cette brèche où le mauvais penchant se faufile pour l’entraîner à accomplir le mal.

Sous le soleil…

Or, il est intéressant de noter que c’est au mois de Tamouz (Tekoufat Tamouz) que le soleil est au paroxysme de son embrasement lors de cette période la plus chaude de l’année (du moins dans l’hémisphère nord). Car, bien qu’il représente dans notre tradition le « ‘Machpia’ par excellence, le donateur idéal » (d’après Salomon Benzaquen dans « Occurrences juives », page 72), c’est-à-dire l’astre qui préside au dénouement de la révélation (voir aussi rav Moché David Vali, « Likoutim », page 134), le soleil s’impose pourtant en été dans sa démesure et son trop plein de présence comme une véritable menace… S’éloignant progressivement de cette position équilibrée qu’il avait atteinte au printemps, il passe en effet d’une attitude profondément généreuse de fécondité et de fertilité au moment du renouveau, à cette disproportion intolérable caractéristique de son incandescence inflexible et autoritaire, empêchant ainsi l’homme et les autres créatures terrestres de se tenir sous son zénith…

On comprend donc pourquoi la temporalité estivale est dénommée par nos Sages « ben haMétsarim » – littéralement : « entre les limites étroites » -, une expression désignant les trois semaines pendant lesquelles le peuple juif se trouve dans un défilé étroit d’où l’on ne peut fuir ni à droite, ni à gauche, et où s’exprime l’Attribut divin de la Rigueur (Middat haDin). Comme nous le lisons dans les Lamentations de Jérémie (Méguila Eikha, 1, 3), où il est dit : « Kol Rodfeiha Issigoua bein HaMétsarim [Tous ceux qui ont poursuivi le peuple d’Israël l’ont atteint dans les défilés étroits] ». A l’instar de l’intransigeance du soleil qui sévit alors, c’est bien parce que le Tout-Puissant y convoqua son peuple à la réalisation ultime de sa destinée que cette période est synonyme d’une insoutenable effervescence exigeant de lui une inflexibilité à toute épreuve…
Yehuda Rück.Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française