Plusieurs personnages de la Tora portent le nom d’Enoch (‘Hanokh) : le fils de Caïn (Berèchith 4, 17), le père de Mathusalem (Berèchith 5, 18 et suivants), l’un des fils de Midyan (Berèchith 25, 4), ainsi que l’un des fils de Ruben (Berèchith 46, 9). Il ne faut pas le confondre, en revanche, avec un autre Enoch (de énoch [« homme »], fils de Seth (Berèchith 4, 26 et suivants).

Nous nous intéresserons ici plus particulièrement au père de Mathusalem, personnage que la Tora tout comme les Midrachim ont particulièrement distingué.

Nous apprenons en effet dans Berèchith 5, 22 et suivants que ‘Hanokh « marcha avec Eloqim ». Puis « il ne fut plus, car Eloqim le prit ».

Il « marcha avec Eloqim », ce que Onqelos traduit, afin d’éviter tout anthropomorphisme : « Il alla dans la crainte de Hachem. » Le Targoum de Jérusalem traduit : « Il servit Hachem avec sincérité. » Selon la tradition historique rapportée dans le Livre de ’Hanokh, l’un des ouvrages apocryphes non insérés dans le canon biblique, il fut le roi de Sippar, ville du dieu du Soleil Chamach, et il y vécut dans une intime communion avec Hachem.

Un nouveau déclin spirituel aurait eu lieu à son époque. Seuls des caractères d’une très grande fermeté morale purent résister au courant général de la perversion des mœurs. « Dix générations vécurent d’Adam à Noé. Cela te montre combien Hachem est longanime. Car toutes ces générations provoquèrent de plus en plus de courroux du Ciel, jusqu’à ce que Hachem leur infligeât finalement le déluge » (Avoth 5, 2).

Au milieu de cette anarchie morale et sociale, ‘Hanokh « marcha avec Eloqim », comme le texte le souligne par deux fois. De nombreuses légendes, juives et païennes, ont été accumulées sur ce personnage ainsi que sur les circonstances mystérieuses de sa mort. Selon la tradition juive, ‘Hanokh fut l’inventeur de l’écriture, de l’arithmétique et d’autres branches de la sagesse humaine qui lui furent enseignées trois cents ans durant par les anges au Jardin d’Eden (Midrach agada Berèchith 5, 18). Il enseigna de nombreuses lois dont il avait reçu la révélation par Hachem et notamment celles du mouvement des astres qui sont à la base du calcul du calendrier (Séfèr ha-yovelim ; Sod ha-doroth).

Il existe à propos de la mort de ‘Hanokh deux traditions divergentes, comme l’ont signalé les Tossafistes (Yebamoth 16b, v° passouq). Les formes employées ici attestent que cette fin fut mystérieuse, sinon sur­naturelle. Elle fut, en tous cas, prématurée par rapport aux autres personnages d’avant le Déluge mentionnés dans la Tora, puisqu’il mourut à l’âge de 365 ans, Selon certains, ‘Hanokh mourut de mort naturelle, tandis que, selon les Sages du Traité Dérekh érets zouta, il « entra vivant au paradis » comme huit autres justes nommés à la même source. Rachi partage l’opinion d’une mort naturelle prématurée et ajoute : ‘Hanokh était un homme juste, mais faible dans sa conscience et facile à retourner pour le mal. Aussi Hachem s’est-Il hâté de l’enlever de ce monde avant son heure. Telles sont les voies de Hachem,  remarque le Zohar (l, 56 b) : Lorsqu’Il sait que la bonne odeur qui se dégage d’un juste finira par s’altérer, Il hâte sa fin, Il va chercher le bon parfum et le retire du monde. C’est le sens du verset du Cantique des cantiques : « Aussi longtemps que le roi (= Hachem) demeure à son siège, mon nard (= l’homme) exhale son arôme » (1, 12). Mais si l’homme cesse d’exhaler son arôme, « mon bien-aimé (Hachem) descend alors dans Son jardin (la terre) vers les plates-bandes d’aromates… pour cueillir les roses »   ­(6, 2). C’est pourquoi les justes sont parfois enlevés prématurément de ce monde.

Une autre explication considère que la phrase : « Il marcha avec Eloqim » sous-entend le reproche fait à ‘Hanokh de s’être isolé de ses contemporains et de s’être contenté d’aller pour sa propre personne avec Hachem. Le Séfèr ha-yachar confirme qu’il prenait cette attitude orgueilleuse de hithbodedouth, et sa mort prématurée apparaît alors comme un châtiment divin.

La disparition du premier être humain, créé pourtant par Hachem Lui-même, plongea les contemporains dans le désespoir et suscita une crise de scepticisme, car ils étaient ignorants de l’existence d’un monde futur et de l’immortalité de l’âme. ‘Hanokh fut alors enlevé vivant sous leurs yeux vers le Ciel dans « un char de feu traîné par des chevaux de feu» (Ibid.), leur montrant ainsi que la vie ne se termine pas avec l’existence d’ici-bas (Rabbeinou Be‘hayé).

Jacques KOHN Zal.