Chèm et ‘Evèr   Sem (en hébreu : Chèm) apparaît dans le texte de la Tora comme le premier des trois fils de Noé. En réalité, nous apprend la tradition talmudique et midrachique (Sanhédrin 69b ; Berèchith rabba 26, 3 ; 37, 7), il était le plus jeune, mais le plus grand et le plus vertueux. Aussi est-il né circoncis (Rachi ad Berèchith 5, 32, d’après Berèchith rabba 26, 3), distinction qu’il n’a partagée qu’avec Adam, Job, Seth, Noé, Jacob, Joseph, Moïse, Bil‘am, Samuel, Jérémie et Zorobabel (Yalqout Chim‘oni Berèchith 1, 16).

Si le texte de la Tora se montre laconique à son égard, il devient plus prolixe lorsqu’il décrit l’intervention auprès d’Abraham de Malki-Tsédeq (Berèchith 14, 18 à 20), autre nom qui lui est donné par la Guemara (Nedarim 32b).   Il fait partie, selon une tradition rapportée dans Baba bathra 121b, des sept personnes dont la vie embrasse l’histoire de toute l’humanité, depuis Adam jusqu’au prophète Elie, que l’on considère comme étant toujours vivant.   Le souvenir essentiel que nous a laissé Sem est constitué par la maison d’études qu’il a créée avec son petit-fils ‘Evèr, et dans laquelle ont été instruits successivement Isaac et Jacob.

Peut-être même le grand-père et le petit-fils ont-ils créé non pas une, mais deux maisons d’étude, situées l’une et l’autre à Beèr-Chéva’, à proximité de celle d’Isaac (Maharcha). C’est en tout cas ce que suggèrent Berèchith rabba (ad Berèchith 63, 10) et le Yalqout Chim‘oni (ad Berèchith 25, 110) en s’appuyant sur le verset de Berèchith 25, 27 qui décrit Jacob comme étant « assis dans “des tentes” », au pluriel, à savoir celle de Sem et celle de ‘Evèr.

Cette dualité de tentes pourrait suggérer que ces deux grands Maîtres avaient chacun leur école de pensée, à l’image de ce que l’on connaîtra beaucoup plus tard avec les écoles de l’époque talmudique comme celles de Hillel et de Chammaï.

Selon certains auteurs, l’école de Sem favorisait une vision idéaliste de la vie, tandis que celle de ‘Evèr considérait l’existence d’un point de vue plus pratique.

On trouve une trace de cette nuance dans un enseignement du Midrach qui nous apprend qu’Abraham a envoyé son fils Isaac, après la ‘aqèda, dans l’académie de Sem, tandis que Jacob a étudié dans celle de ‘Evèr (Rachi ad Berèchith 25, 17).

Cette différence éclaire celle qui a séparé les deux patriarches, Isaac et Jacob. Le premier, qui était monté sur l’autel, s’était acquis le statut d’offrande entièrement consacrée à Hachem (‘ola temima), de sorte qu’il a passé toute son existence à Le servir. Jacob, au contraire, avait à se préparer aux années qu’il aurait à passer chez Laban et à fonder une famille qu’il lui faudrait soustraire à l’influence de celui-ci. C’est l’école de ‘Evèr, bien plus que celle de Sem, qui était la mieux placée à cette fin.

Qu’enseignait-on dans ces deux écoles ?

La Tora ne sera promulguée que sept siècles plus tard, et elle n’a donc pas pu être enseignée et commentée à l’époque où nous nous plaçons. D’autre part, s’il est vrai que les patriarches ont observé toutes les mitswoth qui y seront contenues (Yoma 28b), ils ne l’ont pas fait – surtout Abraham – pour les avoir apprises d’un maître, mais de manière spontanée, et dans la mesure où la Tora existait avant la création du monde (Berèchith rabba 8, 2).

En fait, il existait déjà, à l’époque où nous nous trouvons, quelques fragments des futures 613 mitswoth :

– Les sept lois noahides.

– Certaines lois de cacherouth. Nous savons en effet que Noé, lorsqu’il a introduit les animaux dans l’Arche, a distingué, selon l’ordre reçu de Hachem, entre ceux qui étaient « purs » et ceux qui ne l’étaient pas (Berèchith 7, 2).

Relevons également que le Code d’Hammourabi, promulgué au dix-huitième siècle avant l’ère commune, a pu être considéré selon certains, comme rav Sim‘ha Wasserman, comme un « sous-produit » des écoles de Sem et de ‘Evèr.

Jacques KOHN