De même que l’on ne peut parler d’un agresseur sans évoquer sa victime, de même est-il impossible de dissocier Caïn, le premier meurtrier dans l’histoire de l’humanité, d’Abel, son frère qu’il a tué.

Comment, se demande le Midrach, l’humanité de l’époque a-t-elle pu aboutir à une telle tragédie ?

Notre tradition propose plusieurs réponses :

Si l’on s’en tient au sens simple du texte (Berèchith 4, 3 et suivants), les deux frères avaient offert chacun un sacrifice à Hachem. Caïn avait apporté des « fruits de la terre » – parmi les moins bons, précise Rachi – et Abel « des premiers-nés de son bétail et de leurs graisses ». Hachem avait alors agréé l’offrande d’Abel et non celle de Caïn, d’où la colère de celui-ci et sa vengeance meurtrière. Ce serait donc la jalousie qui aurait poussé Caïn à tuer son frère.

Remarquons au passage, à propos de ces sacrifices, que l’idolâtrie n’existait pas encore à l’époque de Caïn et Abel. Il est par conséquent difficile de soutenir, comme l’ont fait certains, que le culte des sacrifices institué par la Tora a été une concession au paganisme.

Selon une autre version (Berèchith rabba 22, 7), les deux frères ont voulu se partager l’univers. Caïn devait s’attribuer les biens fonciers, et Abel les biens mobiliers. Aussitôt le partage réalisé, Caïn voulut chasser Abel, car la terre sur laquelle il se tenait n’était plus à lui. Quant à Abel, il reprocha à Caïn les vêtements qu’il portait : Ils ne lui appartenaient plus !

Pour le Yalqout Chim‘oni (Berèchith 38), c’est une femme qui a été la cause de l’animosité de Caïn envers Abel : La sœur jumelle (et future femme) d’Abel était d’une grande beauté, et Caïn la convoitait.

Ou bien, comme le suggère le même Midrach, c’est au sujet de leur mère, Eve, que les deux frères se sont disputés.

Une autre version proposée par le même Midrach (Berèchith 4, 38) veut que la dispute soit née de la prétention de chacun des deux frères de voir le futur Beith ha-miqdach construit sur son domaine. Le texte indique en effet que le meurtre a eu lieu alors que les deux frères se trouvaient « dans le champ » (Berèchith 4, 8). Or, il n’est de « champ », par excellence, que le Beith ha-miqdach.

On peut ainsi dégager de ces divers midrachim plusieurs causes possibles au meurtre d’Abel par Caïn, et donc du même coup comment se déclenchent aujourd’hui encore les conflits et les guerres.

La première cause est d’ordre économique. On a souvent vu, à travers le cours de l’histoire, des empires rechercher une mainmise sur l’ensemble des ressources de la planète. Ils se sont tous effondrés après des guerres qui ont entraîné de grandes pertes de vies humaines. Il est certain, d’autre part, que l’incapacité qu’ont toujours eue les peuples et les hommes d’établir entre eux des relations commerciales confiantes et harmonieuses a été, elle aussi, la cause de conflits sanglants.

Le rôle des femmes dans le déclenchement des conflits a été souvent primordial, même s’il a cessé aujourd’hui d’être significatif. Rappelons ici les guerres de succession, comme celles d’Espagne ou d’Autriche, qui ont provoqué des hécatombes de victimes aux dix-septième et dix-huitième siècles.

Et même si l’enlèvement des Sabines par les Romains ou la guerre de Troie sont sans doute légendaires, leur persistance à travers les siècles dans la mémoire des hommes ne peut que confirmer que des femmes ont souvent été les causes de guerres.

Quant à la rivalité de Caïn et d’Abel au sujet d’Eve, on peut y trouver la préfiguration de celle qu’ont souvent les enfants lorsqu’ils recherchent l’exclusivité de l’amour de leurs parents.

Peut-être aussi la réaction de Caïn après son crime (« Suis-je le gardien de mon frère ? » [Berèchith 4, 9]) répond-elle à celle de son père après la consommation du fruit défendu : « La femme, que Tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’ai mangé » (Berèchith 3, 12), comme si le fils prenait exemple sur le père dans son ingratitude envers Hachem (Voir ‘Avoda Zara 5bet Rachi ad Berèchith 3, 12). A la faute commise par l’un répond le crime perpétré par l’autre.

Et enfin les causes religieuses : En se battant au sujet de l’enjeu que représentait le Temple de Jérusalem, Caïn et Abel ont enclenché le lamentable et interminable engrenage des guerres de religion.

Jacques KOHN zal’