Ruth et Naomie, ou des histoires de belles-mère.

Nous récitons à Chavouoth la Meguilath Ruth , et nous pouvons y lire l’attachement extraordinaire de Ruth à sa belle-mère Naomi.

Demandons-nous à cette occasion quel regard le Talmud projette sur les belles-mères ?

On peut constater, à travers les exemples suivants, que son opinion est plus que nuancée:

«Une certaine belle-mère détestait sa belle-fille. Elle lui dit un jour : Va t’enduire d’huile de baume. Une fois qu’elle s’était exécutée, elle lui dit : Va allumer la lumière ! Elle alluma la lumière, une étincelle jaillit de la flamme et la consuma» ( Chabbath 26a).

Cette anecdote n’a pas pour but de porter un jugement sur les belles-mères. Il s’agit pour elle de démontrer que l’huile de baume est hautement inflammable. Mais quand même!

Au cours d’un banquet, on apporta sur la table « la portion qui étrangle les belles-mères » ( Guitine 67b). Selon Rachi , il s’agissait d’un morceau de viande, appelé en français médiéval « amenestraison », qui contient un os minuscule susceptible d’étouffer celui (ou celle?) qui le mange.

Troisième manifestation de la méfiance de nos Sages envers [certaines!] belle-mères : «Tous sont recevables à témoigner [que le mari d’une femme est mort et que celle-ci, par conséquent, devient assujettie aux lois du lévirat], sauf sa belle-mère, la fille de sa belle-mère [?]

Question de la Guemara : Qu’en est-il de la fille de son beau-père [née d’une autre femme que sa belle-mère] ? Dirons-nous que, dans le cas d’une fille de sa belle-mère, son témoignage est irrecevable étant donné que sa mère détestant sa belle-fille, elle-même est censée partagée l’inimitié manifestée par sa propre mère ? Il n’en serait pas de même, dans ce cas, de la fille de son beau-père. Ou bien dirons-nous que le témoignage de la fille de sa belle-mère est irrecevable parce qu’elle croit que sa belle-soeur dilapide la fortune de sa mère ? Dans ce cas, elle éprouverait la même conviction quant à la fortune de sa mère [et donc son témoignage serait tout aussi irrecevable que la fille d’un beau-père]?» ( Yevamoth 117b).

«Et pourquoi une belle-fille déteste-t-elle sa belle-mère ? Parce que celle-ci rapporte à son fils tous ses faits et gestes» ( ibid. ).

En revanche, une belle-mère est digne de foi dans le cas d’une femme soupçonnée d’adultère ( Sota ), mais pas pour lui faire perdre le bénéfice de sa Ketouba. Elle ne peut que lui éviter de boire les «eaux amères» ( Sota 31a).

Cette conception quelque peu désobligeante des rapports entre belle-mère et belle-fille, telle qu’on la trouve dans certains textes talmudiques, ne fait cependant pas l’unanimité:

La Michna Sota (9,15 Sota 49a), lorsqu’elle décrit ce que seront les rapports humains à la veille de l’arrivée du Messie, nous annonce: «Le fils méprisera son père, la fille se dressera contre sa mère ainsi que la belle-fille contre sa belle-mèren »

Si l’on inverse les termes de cet enseignement, celui-ci vient nous apprendre que les rapports entre mère et fille et ceux entre belle-mère et belle-fille participeront d’ici là de la même harmonie.

On trouve dans Mo’èd Qatan 9b une autre illustration des rapports agréables qui peuvent exister entre une belle-mère et sa belle-fille: «La femme de Rav ‘Hisda avait pour habitude d’embellir sa belle-fille pendant ‘Hol ha-moèd ?»

De même, «la belle-fille de rabbi Ochia est allée [un vendredi] aux bains publics, et elle s’est laissée surprendre par l’arrivée de Chabbath. C’est sa belle-mère qui lui a aménagé un èrouv [afin de lui permettre de retourner chez elle et de ne pas rester immobilisée sur place jusqu’à la fin de Chabbath ]» ( Erouvin 80a). Ce geste était d’autant plus méritoire de sa part qu’il a illustré une controverse entre Tanaïm sur la question de savoir si l’on peut préparer un èrouv pour quelqu’un sans produire un objet appartenant au bénéficiaire de cet èrouv .

Et pour terminer, une histoire qui n’a certes rien de talmudique, mais qui mérite pourtant d’être rapportée dans ce billet:

Rav Chemouel Salant a été rav de Jérusalem à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle. Un jeune couple venait se marier quelques jours avant Pessa’h, et, conformément à la coutume, il avait été invité à passer cette fête chez les parents de la jeune femme.

Pendant la soirée du Sédèr , on servit aux convives une assiettée de soupe. Horreur! constata le jeune marié : Il flottait dans son assiette un grain de blé, du pur hamets ! Il se mit à pousser des hurlements stridents, à ameuter tout le quartier, humiliant ainsi en public sa belle-mère qui ne comprenait pas ce qui avait pu se passer.

Finalement, toute la famille se dirigea vers la maison de Rav Salant. Celui-ci, après avoir entendu les protestations de celle-ci contre l’attitude du jeune marié, demanda à celui-ci d’ôter son chapeau et de le lui tendre.

On s’aperçut alors que des grains de blé s’y trouvaient dissimulés. Il était en effet d’usage à Jérusalem, à cette époque-là, de lancer des poignées de grains de blé en direction du fiancé lorsqu’il était appelé à la Tora le Chabbath précédant les noces. C’est l’un de ces grains qui était tombé dans la soupe de Pessa?h .

La morale de cet histoire : Mieux vaut, avant de critiquer ou d’accuser quelqu’un, regarder sous son propre chapeau. Peut-être ce qu’on lui reproche ne se trouve-t-il que dans la tête de son dénonciateur!

Jacques KOHN.