Michna 1

D.ieu, les hommes et la morale par le Rav Eliahou Elkaïm
א) משֶׁה קִבֵּל תּוֹרָה מִסִּינַי, וּמְסָרָהּ לִיהוֹשֻׁעַ, וִיהוֹשֻׁעַ לִזְקֵנִים, וּזְקֵנִים לִנְבִיאִים, וּנְבִיאִים מְסָרוּהָ לְאַנְשֵׁי כְנֶסֶת הַגְּדוֹלָה. הֵם אָמְרוּ שְׁלשָׁה דְבָרִים, הֱווּ מְתוּנִים בַּדִּין, וְהַעֲמִידוּ תַלְמִידִים הַרְבֵּה, וַעֲשׂוּ סְיָג לַתּוֹרָה

«Moïse reçut la Thora du Sinaï, il la transmit à Josué, Josué aux Anciens, les Anciens aux Prophètes, et les Prophètes la transmirent aux hommes de la Grande Assemblée. Ceux-ci disaient trois choses: Soyez circonspects dans le jugement, élevez de nombreux disciples et faites une haie autour de la Thora.» (Chapitre 1, Michna 1) La première Michna du traité Pirkei Avoth, «Maximes des Pères», nous enseigne que les principes d’éthique ne peuvent être véritablement découverts par l’homme, trop influencé par les modes, ses intérêts ou son caractère. Seul le message divin peut nous dévoiler les vraies valeurs morales … « >Cette Michna introduit notre traité couramment appelé «Maximes des Pères». « >En réalité, cette appellation n’est pas exacte dans la mesure où le titre fixé par l’auteur de la Michna est «Avoth», c’est-à-dire «Pères» tout court. « >Dans un texte manuscrit du Gaon de Vilna, ce titre est expliqué de la façon suivante: « >«La terminologie talmudique utilise le concept de Av (père) pour exprimer l’origine d’une idée, d’un concept ou d’un système de lois. A l’instar d’un père qui est à l’origine de sa descendance, les notions de bases d’une réflexion sont les fondements de tous ses développements, qui n’en sont que les ramifications. « >Ces notions de bases sont appelées Avoth (pères).» (cf. Talmud Baba Kama p. 2a et Chabbath p.73a) « >En utilisant ce titre, nos maîtres ont exprimé l’idée que l’ensemble des développements ultérieurs de ces sujets, dans tous le corpus talmudique et midrachique, trouveront leurs racines dans ces quelques chapitres. « >En approfondissant les enseignements des Pirkei Avoth, on découvrira les bases de tous les préceptes relatifs au comportement, légués par la Thora pour élever l’homme. « >Seul D.ieu nous connaît vraiment « >La première partie de cette Michna, dont nous avons donné la traduction ci-dessus, et qui introduit le traité «Pirkei Avoth» (celui de l’Ethique), en précisant les différentes phases de la transmission de la Thora, semble à priori hors sujet. « >Il aurait semblé plus logique de placer cette première phrase en introduction générale des six sedarim de la Michna, au début du traité de Bera’hot. « >Quelle est donc la raison de ce positionnement? « >Dans son commentaire, Rabbénou Ovadia offre une première explication. « >A la différence des autres traités de la Michna, Avoth ne développe pas des lois relatives à une mitsva spécifique, mais il est entièrement consacré à la Morale et aux midoth, dispositions du caractère.

Bien entendu, ces sujets ont été également traités par les philosophes et les sages non-Juifs.

Certains auraient pu imaginer que les maîtres de la Michna, à l’instar des philosophes moralistes, ont découvert des principes d’éthique à travers leur propre réflexion et expérience. Et que leur recherche avait pour but d’arriver à un meilleur fonctionnement de la société.

La Michna, par son introduction, précise que ces enseignements font aussi partie intrinsèque de la loi orale, qui a été révélée par D.ieu à Moïse au Mont Sinaï, et retransmise de génération en génération.

Notre premier chapitre met donc en avant le concept de transmission face à l’idée d’une découverte autodidacte. Car seul D.ieu, qui a créé l’homme et connaît les secrets de l’âme, peut nous transmettre des principes de morale qui soient des vérités absolues, et non relatives à telle ou telle conjoncture. Et D.ieu ne souhaite peut-être pas que nous devenions meilleurs uniquement pour des raisons techniques, liées au bon fonctionnement de la société… L’homme doit perfectionner sa personnalité pour des raisons beaucoup plus profondes. C’est ainsi qu’il pourra se rapprocher de Son Créateur.

Quoiqu’il en soit, même quand il s’agit de trouver des solutions réelles pour créer une justice sociale et un équilibre mondial, on constate aujourd’hui l’échec général de l’homme.

L’auteur du Tiféreth Israël va plus loin encore : La Michna (Avoth 3 17) nous apprend: Im ein Thora, ein dere’h erets, ce qui signifie que sans Thora, il ne peut y avoir de véritable morale. D.ieu sait exactement quel est notre niveau moral véritable, et quel travail nous avons accompli pour améliorer nos midoth. Faire tomber les masques

Or, celui qui ne possède pas une foi absolue dans les enseignements de la Thora, et leur origine divine, ne peut avoir conscience de ce fait. Il pense qu’il peut découvrir seul les principes de la morale. Il ignore que même s’il prône le Bien, cela peut avoir comme motif la recherche d’honneurs ou un manque de courage pour affronter la société. S’il fuit le Mal c’est peut-être par crainte d’une autorité quelconque ainsi que celle des réactions de la société environnante. Sa recherche de morale n’est donc qu’un masque, dépendant d’éléments extérieurs, et ne reflétant pas d’un véritable travail sur soi, ni d’une volonté profonde de s’élever. Seul celui qui agit par respect du message divin, et par l’observance de la Thora peut réellement se connaître et s’élever.

La Michna vient donc, dès le départ, fixer que la base de toute morale authentique est la foi dans la Thora et en Celui qui nous l’a léguée, trouvant ses racines dans la conviction totale que D.ieu nous a transmis la Thora au Mont Sinaï.
Michna 1

Loi orale: Une transmission vitale

(א) משֶׁה קִבֵּל תּוֹרָה מִסִּינַי, וּמְסָרָהּ לִיהוֹשֻׁעַ, וִיהוֹשֻׁעַ לִזְקֵנִים, וּזְקֵנִים לִנְבִיאִים, וּנְבִיאִים מְסָרוּהָ לְאַנְשֵׁי כְנֶסֶת הַגְּדוֹלָה. הֵם אָמְרוּ שְׁלשָׁה דְבָרִים, הֱווּ מְתוּנִים בַּדִּין, וְהַעֲמִידוּ תַלְמִידִים הַרְבֵּה, וַעֲשׂוּ סְיָג לַתּוֹרָה:

«Moïse reçut la Thora du Sinaï, il la transmit à Josué, Josué aux Anciens, les Anciens aux Prophètes, et les Prophètes la transmirent aux hommes de la Grande Assemblée. Ceux-ci disaient trois choses: Soyez circonspects dans le jugement, élevez de nombreux disciples et faites une haie autour de la Thora.» (Chapitre 1, Michna 1)

Les premiers mots de cette Michna contiennent un sens profond et incontournable pour celui qui désire comprendre le message de D.ieu… La Thora dont parle notre Michna et qui a été dévoilée au Mont Sinaï, c’est l’ensemble formé par la Thora écrite (Thora chebi’htav) et la loi orale (Thora chebéalpé). Cette loi orale contient d’abord l’interprétation de la Thora écrite, et elle nous révèle les règles, et les méthodes pour aborder les textes sacrés. Mais cette loi contient également une science, léguée parle Créateur, et qui nous permet de comprendre les mystères, qui restent encore irrésolus par la science modernes, de la création et de l’homme. Enfin, cette loi orale contient l’ensemble de la Thora «cachée», la Kabbale notamment. A plusieurs occasions, l’Ecriture fait allusion à cette loi orale. «Telles sont les ordonnances, les institutions et les doctrines que l’Eternel fit intervenir entre lui et les enfants d’Israël, au Mont Sinaï, par l’intermédiaire de Moïse» (Lévitique 26 46). (Idem Exode 24 12 – Deutéronome 9, 10 Sifra ibid.) Nos maîtres interprètent ces versets comme se rapportant à l’ensemble de la Thora transmise au Mont Sinaï.

D’ailleurs, de nombreux commandements ne peuvent être compris que par les explications de nos Maîtres. Ainsi, nous n’aurions jamais compris ce que signifie le terme totafot, employé dans la Thora (Exode 13 16) si nos maîtres ne nous avaient expliqué que cela désignait les Téfilines de la tête (chel roch) où sont introduits quatre parchemins dans des compartiments séparés. On voit encore mieux l’allusion de la Thora écrite concernant la Thora orale quand il est question de l’abattage rituel (che’hita). «Tu pourras sacrifier de la manière que Je t’ai prescrite de ton gros ou menu bétail (…) et en manger dans tes villes tout comme il te plaira» (Deutéronome 12 21). Or, l’Ecriture ne mentionne nulle part les prescriptions concernant la che’hita. Il est donc question ici de la Thora orale où ces lois sont effectivement mentionnées.
Du nouveau sous le soleil?

Le Talmud ajoute(Talmud Méguila 19b et Talmud de Jérusalem Péa 24): «D.ieu a montré à Moïse toutes les interprétations de la Thora et même ce que les maîtres des générations à venir innoveront dans la Thora. Le Talmud de Jérusalem ajoute que même les remarques des élèves assidus à leurs maîtres furent révélées à Moïse. C’est ainsi qu’il interprète le verset dans l’Ecclésiaste: «Il est telle chose dont on dirait: ‘Voyez, ceci est nouveau!’ Eh bien, cette chose a déjà existé depuis toujours.» (1 10). L’auteur du «Tossafot Yom Tov» fait une remarque intéressante à ce sujet, dans l’introduction de son commentaire sur les six Sédarim de la Michna. Le Talmud emploie le terme hérahou (D.ieu a montré) et non massar (Il a transmis). Ce choix n’est pas fortuit. D.ieu n’a pas transmis à Moïse toutes les réflexions et les découvertes de tous les sages de toutes les générations. Cela l’aurait obligé à transmettre à son tour ces notions, rendant impossible toute véritable innovation. D.ieu les lui a fait percevoir seulement, permettant aux Sages du peuple juif de découvrir par eux-mêmes certains aspects du texte, de dévoiler, grâce à leur recherche, de nouvelles perspectives (‘hidouché Thora).

Bien entendu, cette recherche personnelle doit suivre à la lettre les méthodes particulières d’analyse et de réflexion qui ont été transmises, cette fois, à Moïse, et retransmises de génération en génération jusqu’à nous. Tout changement de ces méthodes d’approche invalide automatiquement toutes les conclusions que l’esprit humain croit pouvoir dégager de son analyse. C’est pour cette raison que la tradition (massoreth) est absolument primordiale. La Thora ne peut être appréhendée et enseignée que par ceux qui ont reçu, de leurs maîtres, les «clefs» pour ce faire. Et cette transmission ininterrompue remonte jusqu’à Moïse.
Transmission intégrale

Nous remarquerons que le texte s’exprime ainsi: Moïse a reçu (kibel) la Thora au Mont Sinaï, alors que Josué ne l’a pas reçu, mais elle lui a été transmise par Moïse (messara leyehochoua). Pourquoi ne pas utiliser la même terminologie pour toutes les phases de la transmission? Josué aurait ainsi pu recevoir la Thora de Moïse… Nous citerons deux explications.

La première nous vient du Maharal de Prague (Dere’h ‘Haïm idem Midrach Chmouel ibid.). D’après lui, le terme massar (a transmis) implique une transmission intégrale par le maître, de toute sa connaissance de la science sacrée. En revanche, le terme kibel se rapporte à l’élève, ce qui signifie que ce dernier a appréhendé au maximum de ses capacités l’enseignement transmis. Le choix des mots de la Michna prend tout son sens: on ne peut utiliser le terme massar quand il s’agit de D.ieu, car la Connaissance de D.ieu est infinie et se place à un niveau qui transcende l’humain. Il est donc impossible d’imaginer que D.ieu transmette l’intégralité de Sa connaissance à l’homme. Moïse a donc «reçu» la Thora, c’est-à-dire qu’il l’a reçue au maximum de ses capacités d’être humain. Par contre, Moïse a bien transmis la Thora à Josué. C’est l’expression d’une transmission totale et intégrale. Elle le reste jusqu’à Siméon le Juste (Michna 2), l’un des anciens de la Grande Assemblée. En effet, la Michna 3 reprend à nouveau le terme kibel, car les Sages des générations suivantes n’étaient plus en mesure d’appréhender toute la connaissance de leurs maîtres. C’est pourquoi la Michna dit que Antigonos de So’ho reçut (kibel) la tradition de Simon le Juste et non pas que Simon le Juste l’a transmise à Antigonos. C’est ce que nos maîtres expriment par le concept de Yéridath hadoroth, la baisse de niveau d’une génération à l’autre, l’un des fondements de la tradition.

La seconde explication est celle de Rabbi ‘Haïm de Volozhine, qui nous offre une approche tout à fait différente. Pour lui, le terme kibel, employé au sujet de Moïse vient mettre en relief la différence fondamentale entre la prophétie de Moïse et celle de tous ceux qui l’ont suivi, la première étant définie par le concept de aspaklaria haméïra alors qu’aucun des autres prophètes n’a atteint ce niveau. Cela est expliqué par nos maîtres de la façon suivante: la transmission du message divin à un être humain, même s’il est prophète, doit traverser un écran, celui de la matérialité. Ce passage oblige le prophète à retranscrire ce message, à l’interpréter. Moïse est le seul être humain qui est parvenu à s’effacer devant D.ieu au point que son corps ne faisait plus écran. C’est ainsi qu’il a pu vivre parmi les anges pendant quarante jours et percevoir directement et totalement le message divin. Le terme kibel utilisé à son sujet Moché kibel thora mi-sinaï implique donc une perception directe et totale de ce message dans toute son ampleur. En cela, les stades suivants de la transmission seront différents. Josué et ceux qui l’ont suivi ont été les maillons d’une transmission mais n’ont pas pu la percevoir sous la même forme que Moïse. Et Rabbi ‘Haïm de préciser: c’est l’humilité et l’effacement absolus de Moïse devant D.ieu qui lui ont permis une compréhension si parfaite de Son message. Cette humilité est l’expression d’une perfection inégalée des attributs du caractère de Moïse (midoth).

La même idée est développée par Maïmonide dans Les huit chapitres (chapitre 7). Le concept de la suprématie de la prophétie de Moïse est ainsi expliqué.
Michna 1

Le juge caché qui est en nous

(א) משֶׁה קִבֵּל תּוֹרָה מִסִּינַי, וּמְסָרָהּ לִיהוֹשֻׁעַ, וִיהוֹשֻׁעַ לִזְקֵנִים, וּזְקֵנִים לִנְבִיאִים, וּנְבִיאִים מְסָרוּהָ לְאַנְשֵׁי כְנֶסֶת הַגְּדוֹלָה. הֵם אָמְרוּ שְׁלשָׁה דְבָרִים, הֱווּ מְתוּנִים בַּדִּין, וְהַעֲמִידוּ תַלְמִידִים הַרְבֵּה, וַעֲשׂוּ סְיָג לַתּוֹרָה:

«Moïse reçut la Thora du Sinaï, il la transmit à Josué, Josué aux Anciens, les Anciens aux Prophètes, et les Prophètes la transmirent aux hommes de la Grande Assemblée. Ceux-ci disaient trois choses: Soyez circonspects dans le jugement, élevez de nombreux disciples et faites une haie autour de la Thora.» (Chapitre 1, Michna 1)

Cette semaine, nous allons découvrir un nouvel enseignement contenu dans la première Michna. Un conseil de vie légué par nos maîtres… Le terme hem amrou (ceux-ci disaient), utilisé par l’auteur de notre Michna, ne précise pas réellement l’identité de ceux qui ont énoncé les trois premières maximes: «Soyez circonspects dans le jugement, élevez de nombreux disciples et faites une haie autour de la Thora» Le Abrabanel et le Midrach Chmouel (ibid.) attribuent ces enseignements à tous ceux ont été cités dans la Michna depuis Josué. D’autres commentateurs ne sont pas de cet avis,et appuient leur thèse en citant le texte de Avoth de Rabbi Nathan et du Sifri (Deutéronome 16), où il est clairement précisé que ces maximes ont été énoncées par les membres de la Grande Assemblée. Cet élément va nous permettre d’en saisir leur portée et leur sens véritable. Il est également important de préciser que le terme hem amrou (ou hou haya omer, au singulier), couramment utilisé dans les Pirkei Avoth, ne vient pas seulement nous informer sur l’origine de la maxime. Ce terme vient également nous dire que le message de vie du maître (tana), est contenu dans la maxime qu’il énonce (cf. Rabbénou Ovadia Michna 2). Il est d’autant plus essentiel d’approfondir et de découvrir le sens caché des paroles des membres de la Grande Assemblée, qui on le sait, était formée par cent vingt des plus grands maîtres de l’époque, dont plusieurs prophètes.

En quoi leur sagesse inégalée s’exprime-t-elle dans ces trois principes a priori assez simples?

Maxime universelle

Le Maharal et Rabbi ‘Haïm de Volozhine font à ce sujet une remarque intéressante: La yéridath hadoroth, la baisse de niveau d’une génération à l’autre, est devenue flagrante justement à l’époque des hommes de la grande Assemblée, période charnière entre l’ère de la prophétie et l’époque où le message divin n’a plus été directement dévoilé à l’homme. En effet, les derniers prophètes (Hagaï, Zacharie, Malachie) faisaient encore partie de la Grande Assemblée. Cette importante baisse de niveau représentait un risque grave pour la pérennité de la Thora au sein du peuple d’Israël. Les trois maximes de la première Michna sont donc d’une importance capitale: il faut les entendre comme des directives, qui vont permettre, malgré la yéridath hadoroth, de conserver la Thora intacte au sein du peuple juif, pour toujours. Dans les lignes qui suivent, nous allons tenter de bien comprendre la portée de la première maxime: «Soyez circonspects dans le jugement».

Une première remarque s’impose: ce conseil n’est-il pas nécessaire à toutes les époques, avant même celle de la Grande Assemblée? Par ailleurs, cette maxime s’adresse à une élite, celle des juges (dayanim). N’aurait-il pas été plus naturel de commencer par une maxime universelle, s’adressant à toute la communauté?

Le Maharal (Dere’h ‘Haïm ibid.), nous éclaire sur le sens véritable du concept de jugement (din ou michpath), parallèlement à la connaissance et à la maîtrise des lois de la Thora.

Représentant de D.ieu sur terre

Le jugement (michpath), exige du juge un élément supplémentaire qui doit s’ajouter à la connaissance solide des lois de la Thora: c’est ce que le Maharal appelle svarath halev, un raisonnement logique doublé d’une intuition. Car les lois de la Thora ne peuvent évidemment pas contenir tous les cas de figure qui peuvent se présenter dans la vie quotidienne. C’est en se basant sur les fondements de la loi (hala’ha) que le juge doit analyser, avec ce raisonnement logique et cette intuition (svarath halev), les cas qui sont présentés devant lui. Grâce à cela, il pourra fixer la hala’ha sans erreur.

L’enjeu est de taille car c’est ainsi que le juge va véritablement représenter D.ieu sur terre. D’ailleurs, le juge qui applique les lois de la Thora est appelé Elokim dans l’Ecriture (Exode 22- 8 27), terme utilisé comme l’un des noms de D.ieu.

Le niveau de sagesse et de pureté des générations depuis Moïse jusqu’à la fin de l’époque des prophètes permettait encore que l’idée première (mouskal richone) des Maîtres pouvait déjà cerner la vérité. Mais par la suite, les générations ne possédaient plus cette intuition première, cette réaction spontanément juste. Il fallait donc les avertir: soyez circonspects. Vous ne pouvez plus vous permettre une impulsivité dans le jugement.

Vous pourrez atteindre un niveau de jugement égal à vos prédécesseurs seulement si vous travaillez sur la circonspection, sur la réflexion, et sur l’intuition basée sur la hala’ha. Ces qualités vous permettront de prononcer des sentences exactes. Ayant maintenant compris pourquoi cette maxime concernait les générations à partir de la Grande Assemblée, nous allons découvrir en quoi elle est également universelle. Qui doit être notre référence? En réalité, D.ieu a donné à chacun un rôle de juge. En effet, nous sommes constamment confrontés, dans nos relations avec les autres, à des situations où nous devons décider comment agir à leur égard. Savoir définir quels sont ses droits et quels sont ses devoirs n’est pas toujours simple.

Comment savoir si nos paroles ou nos actes sont préjudiciable pour notre prochain, selon la perspective de la Thora? Sans une réflexion posée et profonde, il est presque impossible de ne pas faire d’erreurs et ne pas empiéter sur les droits de l’autre. Car il faut savoir que ce qui est considéré comme légitime par la masse, ne l’est peut-être pas en vérité, et celui qui pense bien agir et de façon légale, cause peut-être un dommage, appelé nezek, selon l’optique de la Thora, à son prochain. La Yéridath hadoroth est devenue si intense de nos jours que la société environnante décide désormais à notre place ce qui peut être considéré comme étant honnête et ce qui est légitime. Tout devient relatif.

Mais en réalité, seuls les directives de nos maîtres peuvent nous permettre d’appliquer pour le bien notre rôle de juge et d’éviter les écueils. Les grands maîtres du Moussar (morale) ont consacré une grande partie de leur travail personnel et de leur enseignement pour permettre à leurs disciples de régler les divers problèmes qui se posent dans la vie courante selon l’optique de la Thora.

Car, outre les cas explicités dans la hala’ha qui légifère les différentes situations de la vie, il existe encore beaucoup d’autres cas problématiques où nous frôlons sans le savoir le vol, et où nous causons des dommages moraux à notre prochain. Et ceux-ci ne sont pas tous expressément précisés dans les textes.

Une histoire de la vie quotidienne de l’un de nos maîtres nous aidera à mieux comprendre ce concept. Un jour, Rabbi Nathan Zvi Finkel zatsal, le fameux Sabba de Slabodka, a vu l’un de ses élèves se baisser pour ramasser un papier puis le jeter à nouveau sur le sol. Le Sabba de Slabodka a tout de suite compris que son élève voulait vérifier si ce papier n’était pas une page d’un texte sacré, que l’on doit conserver ou enterrer.
Délicatesse Comme ce n’était pas le cas, cet élève avait reposé ce papier par terre.

La réaction du Rav fut tout à fait inattendue: «- Tu es un maziq, tu causes un dommage à ton prochain, lui dit-il.D’autres passants vont apercevoir ce papier et vont devoir se baisser pour le ramasser et vérifier à leur tour si ce n’est pas un texte sacré. Mais ce papier était là avant que je ne le trouve, lui répondit l’élève. D’après la hala’ha, lui apprit le rav, celui qui creuse un puit ou place un obstacle sur la voie publique est responsable de tous les dommages que cela peut causer. Et dans le cas où l’obstacle se trouvait déjà à cette place, mais qu’une personne l’a soulevé et reposé, elle devient seule responsable des dommages qui pourraient en découler. Dans ton cas, causer à l’autre de devoir se baisser est également un dommage, et c’est toi qui en seras responsable…»

On le voit, seule une grande circonspection et une réflexion profonde permettent d’atteindre la délicatesse envers notre prochain prônée par la Thora.
Michna 1

Quelques mots essentiels

«Moïse reçut la Thora de Celui qui lui est apparu au Mont Sinaï, il la transmit à Josué, Josué aux Anciens, les Anciens aux Prophètes, et les Prophètes la transmirent aux hommes de la Grande Assemblée. Ceux-ci disaient trois choses: Soyez circonspects dans le jugement, élevez de nombreux disciples et faites une haie autour de la Thora.» (Chapitre 1, Michna 1)

La Thora: élitiste ou populaire? En quelques mots, nos Maîtres nous dévoilent leur approche, toujours aussi actuelle.

«Elevez de nombreux disciples»: cette deuxième maxime énoncée par les membres de la Grande Assemblée, aussi concise qu’elle parait, est d’une importance capitale quand à la pérennité de la Thora, et donc du peuple juif.

Ces trois mots (en hébreu: vehaamidou talmidim harbé) résument une approche très complète pour garantir cette pérennité.

Mais quels sont les messages cachés entre ces quelques mots?

Rabbénou Ovadia (ibid.) propose deux interprétations au terme harbé (nombreux).

Dans son commentaire Rabbénou Yona (l’un des géants de l’époque des Richonim, contemporain de Na’hmanide), rejoint la première de ces interprétations.

Pour bien comprendre leur idée, citons d’abord deux textes.

Le premier se trouve dans «Avoth derabbi Nathan»:

«L’école de Chamaï disait: ‘Il est conseillé d’enseigner la Thora seulement à un élève intelligent, humble, d’illustre ascendance, et qui jouit d’une tranquillité financière.’

L’école de Hillel n’avait pas la même opinion: ‘Il faut enseigner la Thora à tout homme qui le désire. Les résultats justifient cette approche, puisque de nombreux fauteurs, pour s’être approchés de l’étude de la Thora sont devenus des hommes justes, pieux et vertueux’» (2 9).
Une lumière extraordinaire

Le deuxième texte nous vient du Talmud:

«Le jour où Rabban Gamliel a été révoqué de sa position de maître, à cause de sa rigidité excessive avec ses disciples, Rabbi Eleazar ben Azaria fut nommé à ce poste.

Sa première décision fut de permettre à tous d’entrer dans le Beth hamidrach, lieu d’étude, et de renvoyer le portier qui contrôlait les entrées.

Jusque-là, les consignes de Rabban Gamliel étaient de ne laisser s’introduire que les élèves dont l’intégrité totale était vérifiée («to’ho kebaro»).

D’après Abba Yossef, quatre cent nouveaux bancs ont été ajoutés le jour même dans le Beth hamidrach les ‘ha’hamim affirmant pour leur part que ce sont sept cent bancs qui ont été ajoutés! (Talmud Bera’hot 28a).

A la lueur de ces deux textes, on discerne deux approches très différentes quant à la sélection des étudiants en Thora.

Mais comment comprendre l’approche de Beth Chamaï? L’enseignement de la Thora doit-il être réservé seulement à ceux qui sont bien nés?

Le ‘Hida (Rabbi ‘Haïm Yossef David Azoulay), dans son commentaire sur Pirkei Avoth nous offre un premier éclairage et nous explique la pensée du maître.

Pour former de véritables érudits en Thora et obtenir des résultats, il faut que l’élève ait des capacités intellectuelles suffisantes, et qu’il soit humble. S’il ne possède pas la première de ces qualités, il ne pourra pas atteindre un niveau dans l’étude.

Et s’il est orgueilleux, son savoir ne subsistera pas.

Nos maîtres nous ont appris que ‘le sage qui s’enorgueillit, sa sagesse le quittera’. Il s’agit évidemment de la sagesse de la Thora, qui nécessite une aide divine particulière que ne méritera pas celui qui fait preuve d’orgueil.

Par ailleurs, il faut qu’il soit d’illustre ascendance car le mérite de ses ancêtres et l’éducation qu’il a reçue vont faciliter sa perception de la parole divine.

Il doit également jouir d’une aisance financière, pour ne pas dépendre des autres et pouvoir ainsi étudier en toute tranquillité.
Au plus grand nombre

L’école de Beth Hillel n’est pas de cet avis, pensant que cette sélection risque de limiter et donc diminuer la diffusion de la Thora au sein du peuple juif, faisant ainsi baisser le niveau de toute la communauté.

Pour répondre aux réticences de Beth Chamaï, Beth Hillel explique que la lumière extraordinaire de la Thora peut élever l’homme le plus éloigné de la sainteté, et le préserver des tentations.

Cette lumière illumine l’âme, et ouvre le cœur et l’esprit.

Il faut donc accorder à tous des chances égales. Il suffit de déceler chez les candidats une réelle volonté d’étudier.

Le ‘Hida cite ensuite le Rachbats (Rabbi Chimchon ben Tsema’h) qui fait l’analogie entre l’avis de Beth Chamaï et l’approche de Rabban Gamliel au sujet du Beth hamidrach.

Toutefois, il précise que le Talmud établit une règle claire en ce qui concerne un élève dont la conduite et la réputation sont mauvaises:

«Celui qui enseigne la Thora à un élève d’un bas niveau moral est comparé à celui qui jette une pierre à l’idole Markolis (c’est de cette façon que l’on montrait sa soumission à cette statue), et il mérite le Géhinom» (Talmud ‘Houlin 133a).

Et le ‘Hida de conclure que lorsque Beth Hillel (dans le texte de Avoth derabbi Nathancité plus haut) parle des fauteurs qui sont revenus dans le droit chemin grâce à l’étude de la Thora, il s’agit seulement de cas particuliers dans lesquels on a pu observer, dès les premières tentatives, un changement positif dans leur comportement.

Si l’on ne peut faire une telle constatation, il faut, de l’avis de tous, les repousser.

Revenons à présent à l’interprétation de Rabbénou Ovadia et de Rabbénou Yona.

Le terme nombreux (harbé), employé par l’auteur de la Michna, souligne un fait décisif:

La loi (hala’ha) a été fixée selon les positions de Beth Hillel et de Rabbi Eleazar ben Azaria.

C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le message des hommes de la Grande Assemblée qui exhortent les maîtres d’Israël à transmettre leur enseignement au plus grand nombre, seul moyen de garantir la pérennité de la Thora.

Rabbénou Yona ajoute que c’est toujours et quoiqu’il en soit, un faible pourcentage de ceux qui s’engagent dans l’étude qui atteint le niveau des grands maîtres. Mais, plus le nombre d’étudiants augmente, plus on augmente les chances pour qu’un nombre suffisant de maîtres soit formé.

Car l’on ne sait jamais à l’avance de façon sûre qui se distinguera de la masse.
Le dernier souffle

Le Midrach Chmouel ajoute que la profusion d’étudiants permet également des échanges profitables aux maîtres et aux élèves.

La deuxième interprétation de Rabbénou Ovadia rejoint celle du Gaon de Vilna qui voit dans le mot harbé, un appel lancé aux maîtres, qui ont d’ores et déjà formé de nombreux disciples, et sont arrivés à un âge avancé.

Ils n’ont pas le droit de se retirer et doivent continuer à transmettre leur enseignement jusqu’à leur dernier souffle (Talmud Yébamoth 62b).

Le terme harbé se rapporte donc non seulement au nombre d’élèves mais aussi à l’enseignement qui ne doit jamais s’interrompre.

Cela explique le choix du mot harbé, plutôt que rabim qui aurait été plus approprié si l’on ne parlait que des élèves.

Le ‘hassid Rabbi Yossef Yaavetz, l’un des grands maîtres expulsés d’Espagne, ajoute une note supplémentaire:

«Le choix du mot harbé exprime que l’étude de la Thora ne peut être limité à un nombre d’années déterminé.

Acquérir la science de la Thora exige de ceux qui l’étudient un investissement illimité. Seuls ceux qui y consacrent de longues années de travail pourront véritablement l’acquérir.
Se tenir debout

Revenons quelque peu en arrière.

La Michna utilise le terme véhaamidou pour dire vous enseignerez. Or, la racine de ce mot est omed, ce qui signifie debout. C’est pour cette raison que la traduction française est: vous élèverez.

Mais par ce choix, la Michna fait également allusion à des enseignements supplémentaires:

D’après le Tossafoth Yom Tov, c’est de la qualité de l’enseignement dont il est question.

Les Maîtres doivent chercher à former des élèves jusqu’au stade où ils pourront, par leur stature morale et leurs connaissances, «se tenir debout», et devenir à leur tour de véritables maîtres en Thora.

Il ne suffit donc pas de transmettre un enseignement: il faut «former» des disciples.

Le Midrach Chmouel (contemporain du Ari zal) décèle une autre intention dans le choix de ce terme.

Pour lui, cet appel des membres de la Grande Assemblée ne s’adresse pas seulement aux maîtres mais à la communauté toute entière:

«Ceux qui le peuvent, doivent aider financièrement ceux qui étudient la Thora. Véhaamidou doit être compris dans le sens d’un soutien qui permet littéralement de se tenir debout.

Cet appel exhorte à créer des associations telles que Yssa’har et Zevouloun, deux frères dont l’un étudiait la Thora, soutenu par l’autre qui assurait sa subsistance.

On le voit, les membres de la Grande Assemblée, en trois mots, on livré un message profond, traitant de plusieurs aspects de la pérennité de la Thora : programme précis dont l’exécution est vitale pour la conservation de la Thora au sein d’Israël.
Michna 1

Une haie de sagesse

(א) משֶׁה קִבֵּל תּוֹרָה מִסִּינַי, וּמְסָרָהּ לִיהוֹשֻׁעַ, וִיהוֹשֻׁעַ לִזְקֵנִים, וּזְקֵנִים לִנְבִיאִים, וּנְבִיאִים מְסָרוּהָ לְאַנְשֵׁי כְנֶסֶת הַגְּדוֹלָה. הֵם אָמְרוּ שְׁלשָׁה דְבָרִים, הֱווּ מְתוּנִים בַּדִּין, וְהַעֲמִידוּ תַלְמִידִים הַרְבֵּה, וַעֲשׂוּ סְיָג לַתּוֹרָה:

«Moïse reçut la Thora du Sinaï, il la transmit à Josué, Josué aux Anciens, les Anciens aux Prophètes, et les Prophètes la transmirent aux hommes de la Grande Assemblée. Ceux-ci disaient trois choses: Soyez circonspects dans le jugement, élevez de nombreux disciples et faites une haie autour de la Thora.» (Chapitre 1, Michna 1)

Les Sages d’Israël ont établi une haie protectrice autour de la Thora pour nous éviter de transgresser la parole divine. Respecter les lois qu’ils ont instituées nous permet également d’atteindre le but ultime de la création: la crainte de D.ieu

«(…) et faites une haie autour de la Thora»: la troisième et dernière maxime énoncée par les membres de la Grande Assemblée implique que les Maîtres en Thora doivent fixer des nouvelles interdictions, qui s’ajoutent à celles de l’Ecriture.

Le but de ces interdictions étant d’éloigner l’homme de tout risque de transgression des lois de la Thora écrite.

Les commentateurs de la Michna nous indiquent que cet appel des membres de la Grande Assemblée fait référence au versetdu Lévitique:

«Soyez donc fidèles à Mon observance (ouchmartem eth michmarti)» (Lévitique 18 30).

Le Talmud (Yébamoth 21a) interprète cette formule par: «Ajoutez une garde (michmeret) à ma garde (michmarti)».

Deux textes de nos maîtres approfondissent le sens de cet appel de la Thora.
Amour inconditionnel

Le premier est le commentaire de Rabbénou Yona sur les mots de notre Michna:

«La haie autour de la Thora est une institution d’une importance capitale. Cette barrière, érigée autour des mitsvoth permettra à celui qui craint D.ieu de ne pas faillir.

C’est la raison pour laquelle celui qui respecte à la lettre les consignes des Sages (‘ha’hamim) montre son attachement inconditionnel à D.ieu et sa véritable crainte envers Celui qui nous a donné l’ordre d’accomplir les mitsvoth.

En effet, accomplir seulement les mitsvoth de la Thora ne prouve pas que l’homme craint véritablement D.ieu.

Car s’il ne prend pas les précautions pour éviter de succomber à la tentation, il prouve que l’accomplissement des mitsvoth ne tient qu’à son bon vouloir.

Il ne sera pas bien triste s’il transgresse ces lois.

Si des brèches se créent dans son attachement à la Thora, il n’en fera pas grand cas.

Les interdictions et les institutions de nos maîtres sont donc des racines qui permettront à la crainte du Ciel, comme à un arbre, de se développer et de grandir.

Faire grandir cette crainte est le principal but de l’homme dans ce monde et la plus belle vertu qu’il peut atteindre.

C’est le sens véritable des paroles de nos maîtres sur le verset dans le Cantique des Cantiques (1 2):

‘Car tes marques d’amour sont plus délicieuses que le vin (ki tovim dodé’ha miyayin)’.

Le vin exprime ici l’essence de la Thora, les marques d’amour faisant allusion aux paroles de nos maîtres. On comprend donc que les paroles des Sages, sous un certain aspect, transcendent presque la Thora elle-même. »(Midrach Chir Hachirim Rabba 1 2)

Un deuxième texte nous vient du Ram’hal dans le «Sentier de rectitude»:

«Parlons à présent des unions interdites (arayoth). Celui qui veut éviter de transgresser ces interdits, devra effectuer un travail personnel important.

Car ces interdits ne concernent pas seulement l’acte lui-même. Est également interdit tout ce qui peut rapprocher l’homme de ces unions.

L’Ecriture le précise explicitement:

«N’approche point d’elle pour découvrir sa nudité» (Lévitique 18 19).

Dans le Midrach, nos maîtres interprètent:

«D.ieu dit: ‘Ne pense pas que l’interdiction se limite à l’union, ni que les autres formes de proximité ne sont pas une transgression de la volonté divine.’

Le Nazir (genre d’ascète), qui a fait le vœu de s’abstenir de boire du vin, se voit également interdire la consommation de toute forme de raisins (frais ou secs) ainsi que tous les produits de la vigne.

De la même façon, une femme qui n’est pas la tienne, il te sera interdit de la toucher.

Celui qui touche une femme autre que la sienne transgressera l’interdit de la Thora et prendra le risque de devenir passible de mort (s’il cède ensuite à la tentation).» (Midrach Chemoth Rabba 16 2)

Ce texte du Midrach nous révèle le sens véritable de l’interdiction, pour le Nazir, de consommer toutes formes de raisins.

La Thora, en ajoutant à l’interdiction de base du Nazir tous les produits de la vigne, montre la voie aux Sages (‘ha’hamim), quand ils devront élever des barrières protectrices autour des mitsvoth.

Le principe donné par la Thora est qu’il faut interdire tout ce qui ressemble, ou tout ce qui est en rapport direct avec l’objet de l’interdit de base.

C’est d’après ce principe que la Thora veut que les Sages instituent les interdits appelés ‘miderabbanane’.

Et c’est dans cet esprit qu’ils ont interdit tout contact direct entre un homme et une femme qui ne sont pas mariés» (‘Sentier de rectitude’, chapitre 11).
Voir loin

Toutefois, une question se pose: Ceux qui précédaient la Grande Assemblée ignoraient-ils ces enseignements?

Pourquoi a-t-il fallu attendre jusque-là pour dévoiler cet aspect a priori intrinsèque à la Thora elle-même?

Rabbi Yaakov Kaminesky zatsal nous éclaire sur ce sujet dans son commentaire sur Pirkei Avoth (Emeth leYaakov Avoth p.318).

Le principe de la haie protectrice était certes déjà connu depuis la révélation au Sinaï, mais le niveau très élevé des générations depuis Moïse permettait que chacun puisse fixer pour lui-même cette barrière, l’adaptant ainsi à son tempérament et à ses propres faiblesses.

Les hommes étaient alors capables de se connaître véritablement, et de définir seuls les domaines où leur mauvais penchant (yetser hara) pouvait les faire trébucher.

C’est seulement à l’époque de la Grande Assemblée que la Yéridath hadoroth (baisse des générations) a rendu inévitable la nécessité de fixer des règles générales qui seront instituées par les maîtres de chaque génération.

Ces décisions des Sages (takanoth) deviennent alors universelles et engagent toute la communauté d’Israël.

Pour parvenir à les instituer, il fallait une science qui cerne tous les aspects psychologiques de la nature humaine et ses subtilités et qui définisse les situations à risque par lesquelles l’homme peut être amené à fauter. Il fallait par ailleurs que ces interdictions ne soient pas trop difficiles à suivre pour le commun des mortels.

Aujourd’hui, plus que jamais, les excès de la société occidentale, ne font que confirmer combien nos maîtres ont vu loin, et juste.

Le monde moderne a voulu détruire toutes les barrières, ne se fiant qu’aux idées élémentaires ambiantes.

Mais on constate qu’une fois ces barrières franchies, plus aucune limite n’existe, et les pires aberrations voient le jour et sont considérées comme la norme.

Et pour reprendre les mots de Rabbénou Yona:

«Respecter à la lettre les consignes de nos maîtres, qui ont établis la haie protectrice de la Thora, est l’expression véritable de la crainte de D.ieu, but sublime de la création de l’homme.»