Pourquoi cette injonction est-elle formulée au singulier – « à toi », « tes portes » ? S’appliquant à l’ensemble de la collectivité, n’aurait-il pas été plus logique qu’elle le soit au pluriel ?

Chaque homme, explique Rav ‘Hayim Vital, possède un certain nombre de « portes » que traversent les influences extérieures, tant positives que négatives, pour pénétrer dans son corps : la « porte » de la vue, celle de l’ouïe, de l’odorat, de la parole et celle du toucher. Chacun de nous a besoin, pour se protéger, d’établir « des juges et des policiers » chargés d’examiner ces influences extérieures et de déterminer si elles sont ou non bénéfiques. Voilà pourquoi la Tora s’adresse à l’individu, chacun de nous ayant à charge de prendre ces précautions.
Objet Inconnu

Quand l’homme sélectionne soigneusement ce à quoi il permet de franchir ses « portes » – et qu’il se garde de capter une image ou une parole interdites, etc. –, il mérite que s’applique à lui le verset : « Ouvrez les portes, et qu’elle entre, la nation juste qui garde la fidélité ! » (Yecha’ya 26, 2). En tamisant les influences et les expériences auxquelles il s’expose, il peut atteindre un niveau tel que les portes célestes s’ouvriront devant lui.

Tu te donneras des juges et des policiers dans toutes tes portes. (16, 18)

Commentaire du Midrach (Devarim Rabba) : « Comme l’affirme le verset : “Va vers la fourmi, paresseux ; étudie ses voies, et sois un sage ! Elle qui n’a ni chef, ni policier, ni gouvernant, elle prépare en été son pain, elle amasse pendant la moisson sa nourriture” (Michlei 6, 6 et suivants). […] Que signifie donc : “Etudie ses voies, et sois un sage” ? Les Maîtres ont enseigné : Etudie son comportement, car la fourmi se garde de voler. Rabbi Chim‘on ben ‘Halafta a enseigné : Une fourmi a un jour laissé tomber un grain de blé. Sont venues toutes les autres qui l’ont flairé, mais elles ne l’ont pas pris. C’est alors qu’est arrivée celle à qui il appartenait et elle l’a repris. Observe la sagesse qui est en elle [en analysant cet épisode] !
[…] “Elle n’a ni chef, ni policier, ni gouvernant”, et vous, [les hommes], pour lesquels J’ai nommé des juges et des policier, vous devriez d’autant plus [veiller à ne pas voler] ! »
Cette parabole du Midrach est fort étonnante, note le ‘Hiddouchei Harim. Existe-t-il plus grande voleuse que la fourmi ? Tout ce dont elle s’empare est au propriétaire du champ ! Elles ne se volent certes pas entre elles, mais elles ne respectent rien de ce qui appartient aux autres !
En réalité, explique ce Maître, ce Midrach nous apprend que nos existences sont régies par des conventions sociales bien plus que par les valeurs de la Tora. On peut amasser toutes sortes de richesses par le vol sans cesser pour autant d’être considéré comme un être moral. « Etudie ses voies, et sois un sage » signifie : Vois ce qui arrive quand une société cesse de préserver ces valeurs, ce qu’il advient quand, n’ayant « ni chefs, ni policiers ni gouvernants », elle n’est plus dirigée selon la Tora.

Comme le font remarquer de nombreux exégètes, le mot lekha (« à toi ») paraît superflu dans ce verset.
Les termes « juges » et « policiers », note le Sefath Emeth, expriment les diverses méthodes par lesquelles nous pouvons nous protéger. Est désignée sous l’appellation de « juges » l’aptitude de l’homme à peser logiquement – « juger » – chacun de ses actes avant de le réaliser pratiquement, afin de déterminer s’il est bénéfique. Quant au vocable « policiers », il se réfère à la nécessité d’accepter les prescriptions de la Tora même quand on ne comprend pas leur portée. Tout comme un « policier » fait application de la loi également à l’encontre de celui qui croit être dans son bon droit, nous devons instituer en nous-mêmes un « policier » chargé de nous inciter à respecter les injonctions de la Tora même lorsque nous sommes tentés de les transgresser.
Pour Le servir véritablement, nous dit la Tora, « à toi » donc d’établir « des juges » – le discernement précédant et dominant l’action – et « des policiers » aptes à te faire respecter le décret du Roi même sans le comprendre.

Et tu ne prendras pas de don corrupteur, car la corruption aveugle les yeux des sages. (16, 19)

Qui donc sont les « sages » que de tels présents risquent d’« aveugler » ? se demande le ‘Hafets ‘Hayim. Ne s’agit-il pas là d’une appréciation totalement subjective ?

Si, par exemple, Reouvèn prétend que Chim‘on est un homme riche, on ne peut mesurer la fortune de celui-ci qu’à l’aune de celle de Reouvèn et donc à celle de ses critères personnels. Si Reouvèn est pauvre, toute personne détenant un peu d’argent sera riche à ses yeux. Et s’il possède quelque fortune, il faudra que Chim‘on en ait plus que lui pour qu’il le qualifie de « riche ».
Il en va ainsi de la sagesse : Si Reouvèn tient Chim‘on pour un « sage », nous ne pouvons valider son appréciation qu’en examinant son cadre de références.
Si quelqu’un comme Rabbi ‘Aqiva Eiger, le Rambam ou le roi Chelomo soulignait la sagesse d’un individu, celle-ci ne ferait pour nous aucun doute. Comme il doit être sage, celui dont parle notre verset, pour que Hachem atteste Lui-même de sa sagesse ! Celle-ci doit assurément être extraordinaire !
Et pourtant, Lui-même nous apprend que si un tel être exceptionnel accepte des dons corrupteurs, il sera frappé de cécité et sa sagesse ne lui servira à rien ! Combien devons-nous rester attentifs à ne pas nous laisser « corrompre » avant de juger ! »