Moché sortit au devant de son beau-père ; il se prosterna et l’embrassa ; ils s’informèrent mutuellement de leur bien-être. Puis ils entrèrent sous la tente. Et Moché raconta à son beau-père tout ce que l’Eternel avait fait à Pharaon et l’Egypte à cause d’Israël » (Chémot, 18, 7-8). Commentant le verset « Et Moché raconta à son beau-père » à partir de la Mékhilta, Rachi écrit : « Afin d’attirer son coeur à se rapprocher de la Torah ».

Cette précision mérite une explication. En effet, on se serait davantage attendu de la part de Moché Rabbénou, qu’après avoir accueilli son beau-père, il se comporte avec lui comme toute personne qui reçoit chez elle un invité, surtout si celui-ci a fait un long voyage… Et aussi qu’à l’instar d’Avraham Avinou lorsqu’il accueillit les anges, Moché le fasse entrer chez lui et lui offre la possibilité de se restaurer et de se reposer des tribulations du voyage !

Etonnamment pourtant, la première chose que fait Moché Rabbénou, c’est d’inviter son beau-père Yitro à entrer « sous la tente », c’est-à-dire dans le Bet Midrach (ainsi que le Tirgoum Yonathan Ben Ouziel traduit cette expression quand il dit : « Bèt Oulpana ») afin d’étudier avec lui la Torah. Puisque ce n’est qu’après cette étude seulement que « tous les anciens d’Israël vinrent partager le repas du beau-père de Moché, en présence de l’Eternel » (Chémot, 18, 12)…

Pour élucider cette anomalie, rappelons tout d’abord que Yitro était un prêtre idolâtre (« Cohen Midiane ») qui possédait un tel sentiment religieux qu’il n’existait pas une seule idole au monde qu’il n’ait adorée… Pourtant, après avoir pris connaissance des évènements qui se produisirent lors de l’ouverture de la mer Rouge et de la guerre que les Enfants d’Israël menèrent contre Amalek (Rachi, Chémot, 18, 1), Yitro comprit alors qu’aucune divinité n’avait de réalité en dehors du D.ieu unique, comme il est dit : « Je reconnais à cette heure que l’Eternel est plus grand que tous les dieux !» (Chémot, 18, 11).

Et c’est ainsi, qu’après un long chemin, il s’approcha du peuple d’Israël afin de se convertir et de prendre sur lui le joug de la Torah. Au point où, après qu’Avraham, Sarah et Yehochoua (Josué) ont vu s’ajouter à leur nom l’une des quatre lettres saintes du « Chem Hachem » (le Tétragramme), la quatrième lettre du Nom de D.ieu – le « Vav » – fut réservée à cet homme nommé « Yéter » qui, désormais, s’appellerait Yitro.

La réaction pour le moins surprenante de Moché nous révèle donc l’attitude qu’il convient d’adopter face à celui qui désirerait se convertir au judaïsme : avant même de proposer à un tel homme une nourriture matérielle en l’accueillant chaleureusement pour qu’il s’insère au sein de la communauté, il convient tout d’abord de lui offrir une nourriture purement spirituelle, puisque comme l’indique les Pirké Avot (Chapitre 6, Michna 4) : « Tel est le chemin par lequel la Torah s’acquiert : tu mangeras du pain dans le sel et tu boiras l’eau en petite quantité ; tu dormiras à même le sol, tu vivras une vie difficile et tu t’adonneras de toutes tes forces à la Torah » (voir aussi Midrach Tan’houma sur la paracha Noa’h, 3).

En ce sens, si Moché Rabbénou avait d’abord offert à Yitro à boire et à manger, s’il lui avait donné la possibilité de se reposer et de se restaurer avant de lui inculquer la crainte du Ciel, il y avait à craindre que le désir qui brûlait dans le coeur de son beau-père d’adhérer de toutes ses forces au peuple d’Israël ne s’estompe et que tous les évènements grandioses dont il fut le contemporain – et qui constituaient sans aucun doute ce premier cheminement dans la foi qui pousse le non-juif à s’approcher du judaïsme – soient restés lettres mortes…

« Une loi de feu »

Or, il convient de faire remarquer que cet épisode eut lieu précisément après qu’Amalek tenta de refroidir l’ardeur du peuple à la Torah et aux mitsvot, comme l’explique Rachi sur le verset « Amalek survint et attaqua Israël à Refidim », (Chémot, 17, 8). Puisque c’est quelques jours seulement après la manifestation de la Toute Puissance divine lors de l’ouverture de la mer Rouge – comme il est dit dans la « Chira » : « les peuples entendirent (…) », (Chémot, 15, 14) – qu’Amalek livre combat à Israël. En cherchant coûte que coûte à lui faire perdre pied dans sa confiance en D.ieu et à mettre un terme à sa prétention à la sainteté. Au point où nos Sages expliquent qu’Amalek surgit comme ce forcené qui se jette dans « un bassin d’eau bouillante qu’aucune créature n’ose approcher et qui, même s’il se brûle lui-même, le refroidit pourtant pour ceux qui y viendront après lui », (Rachi, Devarim, 25, 18).

Or, comme cela est clairement mentioné dans le Traité talmudique Yévamot (page 47/a), la première question qu’il convient de poser au non-juif désirant se convertir est : « Pour quelle raison veux-tu te convertir, alors que le peuple juif est victime de toutes sortes de persécutions (…) ? ».

Yitro était donc tout à fait conscient de cette dimension métaphysique attachée à l’Assemblée d’Israël, et l’on comprend pourquoi Moché Rabbénou agit ainsi envers son beau père. Il était primordial en effet de préserver le feu de la Emouna qui brûlait alors en lui en le plongeant immédiatement dans la mer de l’étude de la Torah – comme cela ressort de cette précision numérique : si nous retirons en effet du mot « Israël » les lettres « Alef » et « Chin » qui constituent le mot « Ech » (le feu, c’est-à-dire l’ardeur), il ne nous reste plus que les lettres « Youd – Rech – Lamed », qui ont la même valeur numérique que le mot « Amalek », « celui qui refroidit le bassin » !

Puisque, comme nos Sages le déduisent de l’appellation du lieu « Réfidim » où Israël fut attaqué par les Amalécites, si Amalek eut une emprise sur notre peuple, c’est dans la mesure où l’ardeur d’Israël à accomplir la Torah et les mitsvot s’était estompée.

Constatant donc que son beau-père avait eu connaissance de la guerre que le peuple sorti d’Egypte avait dû livrer contre Amalek, Moché comprit que lui était offerte une occasion unique qu’il ne devait laisser passer sous aucun prétexte en élevant ce sentiment à une compréhension intellectuelle profonde de la réalité d’Israël !

Voilà pourquoi, bien qu’il soit dit que « Yitro avait entendu (Vayi- Chma) tout ce qu’avait fait l’Eternel pour Moché et pour Israël son peuple » (Chémot, 18, 1), le verset reprend : « Moché raconta (Vayé- Saper) à son beau-père tout ce que l’Eternel avait fait (…) à cause d’Israël », (ibid., 8).

Avant même de lui offrir de quoi se restaurer, et bien qu’il ait senti en lui une volonté authentique (Lichma) de vouloir intégrer le peuple juif, c’est seulement après un cours exceptionnel sur la majesté du Créateur professé par Moché afin d’attiser le coeur de son beau-père au feu de la Torah et des mitsvot pour vérifier ses intentions, qu’il fut donné à Yitro de procéder à l’acceptation du judaïsme (Kabbala Mitsvot). Il fut alors possible d’approcher des sacrifices à D.ieu et de partager avec lui un même repas avec une foi authentique…

Par YEHUDA RÜCK