« Je reconnais à cette heure que l’Eternel est plus grand que tous les dieux car je L’ai reconnu dans le mal qu’ils projetaient de leur infliger ! », (Chémot, 18, 11). Il ressort de cette affirmation de Yitro que c’est précisément dans la mesure où D.ieu punit les Egyptiens « mesure pour mesure – Midda Kénégued Midda » que le prêtre de Midiane apprit que D.ieu se distingue des autres divinités. Il convient donc de comprendre en quoi c’est cette dimension inscrite dans l’expression « Midda Kénéggued Midda » qui provoqua le réveil d’Yitro à la Téchouva…

Or, il faut savoir qu’à chaque divinité est affilié une force particulière, comme c’est le cas de l’ange tutélaire affilié au feu, de celui affilié à l’eau, etc. Chacun d’entre eux possédant une mission qui lui est propre au point où, par exemple, l’ange qui préside le feu a le pouvoir de mettre l’eau en ébullition, de même que l’ange tutélaire de l’eau est susceptible d’éteindre le feu, et ainsi de toutes les forces opposées présentes en ce monde. En ce sens, aucune de ces divinités ne participe à l’idée inscrite dans l’expression « Midda Kénégued Midda », puisqu’au contraire chacune d’entre elles n’a la possibilité de surmonter les forces opposées à sa nature qu’en vertu de sa dimension propre et qui précisément fait défaut aux autres. Car comment l’ange tutélaire de l’eau pourrait-il éteindre le feu à partir du feu ?

Inversement, ce qui fait la particularité de l’Unité divine, c’est justemt ment de posséder toutes les caractéristiques propres à chacune des forces présentes en ce monde. A telle enseigne que D.ieu lutte pour ainsi dire contre le feu à partir du feu lui-même. Puisque D.ieu ne possède en propre – au point où elles le « détermineraient » – aucune de ces dimensions par laquelle Il surpasse ses « ennemis ». Doté littéralement des caractéristiques de chacune des créatures – même spirituelles -, D.ieu domine l’être de chaque divinité, de chaque peuple et de chaque individu.

Tel est le sens de l’expression « Midda Kénégued Midda » : le Tout-puissant l’emporte sur chacune des créatures par le fait qu’Il actionne Lui-même les particularités de chacune d’entre elles par l’utilisation de chaque « Midda » qui les caractérise.

Voilà pourquoi Yitro peut s’exclamer : « Je reconnais à cette heure que l’Eternel est plus grand que tous les dieux car je L’ai reconnu dans le mal qu’ils projetaient de leur infliger ! », (Chémot, 18, 11).

Au fondement de la Emouna…

Comme cela ressort du premier verset de la Torah « Béréchit Bara Elokim et haChamaïm véet haArretz – Au commencement, D.ieu créa le ciel et la terre » (Béréchit, 1, 1), le monde physique repose sur un principe fondamental : celui de l’antagonisme des forces, qu’elles soient physiques ou même métaphysiques. Or celles-ci soit se comportent de telle manière à s’annuler l’une l’autre, soit elles se conjuguent et se développent d’une façon positive – au point où c’est même précisément sous ce second mode que la conjugaison des éléments contraires permet la réalisation et l’expansion de la matière. Ainsi, bien que le feu (Ech) et l’eau (Maïm) constituent deux éléments antagonistes quand ils se tiennent pour ainsi dire « l’un contre l’autre » ; en revanche s’ils s’allient, ils donnent naissance au ciel (Cha-Maïm) puisque ne nous est donnée la possibilité de créer quoi que ce soit qu’en vertu de la résolution positive des contradictions fondamentales inhérentes non seulement au monde de la matière, mais aussi au monde spirituel… Tant et si bien que toute la Création repose sur ce même système : mâle et femelle, sucré et salé, etc. L’on pourrait ainsi présenter une gamme infinie de ce genre d’opposées…

Or le seul qui échappe à ce système dialectique des oppositions qui constitue le monde dans son entité la plus élémentaire, c’est D.ieu ! En ce sens, seul D.ieu est « Un » dans la mesure où son Unité n’est pas tributaire d’une forme quelconque de dualité qui devrait se conjuguer pour accéder à l’existence. Il est par définition l’Unicité pure.

Se trouvant pour sa part soumis au régime de la contradiction, l’homme est donc incapable de se représenter l’Unité divine qui relève en définitive de la seule Emouna. Comme l’écrit le Rambam dans son fameux texte des « 13 principes de foi » : « D.ieu est Unique, d’une Unicité comme il n’en existe absolument aucune autre ». Car précisément, s’il est donné à l’être humain d’accéder à la révélation de l’Unité divine au coeur de ce monde, c’est précisément dans la mesure où, à l’instar des forces antagonistes présent tes au sein de la Création, D.ieu Lui-même se laisse pour ainsi dire « dévoiler » sous la forme d’une propriété qui lui est tout à fait spécifique et qui n’est autre que cet attribut intitulé : « Midda Kénégued Midda – mesure pour mesure ». Non pas tant parce que ce qualificatif serait l’expression de la stricte justice comme on a tendance à le croire, mais bien parce que par son biais, nous est donné de comprendre en quoi le Tout-Puissant domine toutes les forces de ce monde, même quand celles-ci nous semblent irrémédiablement contradictoires…

Telle fut, semble-t-il, la découverte de Yitro. Lui qui avait erré toute sa vie d’un culte idolâtre à l’autre à la recherche de l’expression la plus adéquate de son sentiment du sacré, il fallut qu’il soit témoin des miracles opérés lors de la traversée de la mer Rouge et à l’occasion de la guerre qu’Israël livra à Amalek (voir Rachi) pour s’élever à une profonde compréhension de l’Unité divine. Puisque s’il est dit que D.ieu « possède tout –Koné haKol » (prière de la Amida), c’est littéralement parce qu’Il est celui qui « achète » (Koné), « propriétaire » de l’existence de toutes les forces, ainsi qu’il est dit dans le verset : « Koné Chamaïm vaAretz » (que l’on traduit pourtant par « Celui Qui qui a fait les cieux et la terre », Béréchit, 14, 19 et 22) lorsque Avraham Avinou, le « père des convertis », répond à Chem, Malki Tséddek, « Cohen LéKel Elione »…

Par Yehuda Rück. Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française