Tout le monde connaît sans aucun doute l’histoire de Yossef et ses frères. Yaacov a 12 enfants. Il a des affinités spéciales avec Yossef, le 1er fils de Rahel. Il le choit particulièrement, étudie avec lui, et le distingue en lui offrant une splendide tunique rayée. Yossef de son côté rapporte constamment les actions de ses frères à son père, provoquant ainsi leur haine. Puis Yossef fait des rêves qui lui promettent la royauté et les leur raconte, attisant davantage leur haine et colère.

Un jour, Yaacov envoie Yossef prendre des nouvelles de ses frères, partis au pâturage avec le troupeau. En le voyant arriver, ses frères se liguent pour le tuer ‘et nous verrons ce qu’il en sera de ses rêves !’disent-ils.

Réouven, l’aîné, les dissuade de se souiller les mains, et propose plutôt de le jeter dans un puits vide. La Torah témoigne que son intention est en réalité de revenir le sauver ensuite. Or, le Midrash enseigne que ce puits vide ‘d’eau’ est en fait plein de serpents et scorpions. Sans aucun doute, c’est par cet argument que Réouven parvient à amadouer ses frères déterminés à en finir avec Yossef. D’où l’étonnement: pourquoi Réouven préfère-il que son frère se fasse jeter aux reptiles, plutôt que d’être livré aux mains de ses frères?

Le Or haHaïm **[37:21] donne une réponse stupéfiante: certes, les frères veulent mettre les rêves de Yossef à l’épreuve en tentant de le tuer. S’ils réussissent, ils prouveront que Yossef n’est qu’un imposteur. Et s’ils échouent, ils sauront dès lors que ses rêves sont vrais. Mais Réouven les reprend en leur expliquant que leur propre action de tuer ne prouvera rien, car l’être doté de libre-arbitre a la capacité de tuer malgré le destin contraire de sa victime. Par contre, un animal ne peut l’atteindre que si sa mort est effectivement décrétée du ciel. Les frères approuvent sa thèse et le jettent dans un puits plein de serpents !

Ce commentaire est en fait fondé sur le Zohar **[Bereshit 185B], qui détaille le dialogue entre Réouven et ses frères. Réouven constate la haine farouche de ses frères contre Yossef, et craint que leur désir de le tuer ne fasse réussir leur complot. Il se dit alors ‘Il vaut mieux que Yossef soit jeté dans une fosse de serpents et scorpions, plutôt que d’être livré aux mains de ses ennemis… Car face aux serpents, l’intégrité de Yossef pourra le sauver. Parfois encore, le mérite des pères favorise son sauvetage. Par contre, celui qui tombe dans les mains de ses ennemis a peu de probabilité d’être sauvé.’

Vous comprenez la portée de ce texte ?! Qui n’a jamais rencontré des juifs parfois très pratiquants qui encourent toutes sortes de dangers, osent défier avec arrogance des non-juifs hostiles, et justifient leurs actes par une ‘croyance’ en le ‘Mektoub’ – des ‘tout est écrit’, ‘si je dois mourir, de toute façon…’! Ces théories sont fausses ! Certes, lorsque l’heure arrive, on ne peut pas vraiment la fuir – sauf si l’on fait certaines Mitsvot spécifiques, telles que la Tsedeka. Néanmoins, il est possible d’avancer cette heure, Has Veshalom, en négligeant certaines précautions. Notamment, en causant du tort à l’autre.

Nos lecteurs de Av-Eloul 5776 [5 minutes éternelles n°58] se souviennent sûrement de notre étude sur le sujet. Succinctement, lorsque nous entrons en conflit avec quelqu’un, nous avons l’impression d’échanger dans ce monde ici-bas des insultes et menaces. Mais pour peu que l’offensé dise un mot de trop, ou plus simplement, que l’on soit le détonateur du conflit –comme Yossef qui médisait sur ses frères à son père–, il déclenche dans le ciel une véritable guerre, impliquant une multitude de forces et considérations qui vont déterminer lequel des adversaires l’emportera.

Ainsi, le Zohar enseigne qu’il est plus probable de sortir sain et sauf d’une fosse à serpents plutôt que d’être livré aux mains de l’ennemi ! Plusieurs Midrashim enseignent que même les Tsadikim y laissent des plumes. Les pleurs d’Essav provoqués par Yaacov –même s’il était inévitable de lui dérober les Berakhot– lui octroyèrent un droit de réclamer son dû lorsqu’Israël se relâchera, Has Veshalom. Idem pour Yishmaël, envers qui nous avons certaines ‘dettes’. Nous avons l’impression dans ce monde que les affrontements avec ces peuples sont militaires ou diplomatiques. En réalité, leurs accusations –quelque peu fondées, selon la manière dont Israël se conduit– agissent dans les mondes supérieurs !

Il en va de même pour toutes les querelles de voisinage ou de famille. Le bouclier contre le désir de l’autre de nous nuire est la discrétion, veiller à ne pas attiser sa haine, sa jalousie, sa peine, sans répondre à ses injures. Et évidemment, prouver de notre mieux à Hashem que nous demeurons dignes des bontés dont nous jouissons. Comme le priait David, ‘Puisse Hashem considérer ma misère, et me rendre du bonheur en échange de ces outrages que je subis en ce jour!’

Par Rav Harry Dahan de 5minutes eternelles