Les nombreux ustensiles dont fut muni le Tabernacle pour les besoins du service sacerdotal furent essentiellement confectionnés à partir de l’or, de l’argent et du cuivre. Exception faite : le « kiyor » – ce grand récipient d’eau par lequel les Cohanim procédaient à la purification des mains et des pieds – fut quant à lui fabriqué avec des miroirs !


Outre le caractère original de cette matière, la provenance de ces miroirs s’avère également fort intéressante et porteuse d’un profond message. Voici ce que rapporte à ce propos Rachi dans la paracha Vayakel (38, 8) au nom du Midrach Tan’houma (Pékoudé 9) : « Ces miroirs, révèle le Midrach, étaient ceux qu’utilisaient les femmes d’Israël pour se maquiller et dont elles ne manquèrent pourtant pas d’offrir pour l’édification de la maison de D.ieu. Mais Moché répugnait à les accepter dans la mesure où il ne convenait pas que soit fait usage dans le Tabernacle – en ce lieu le plus sanctifié au monde ! – d’objets ayant pour vocation essentielle d’entretenir chez l’être humain l’inclination des sens ».

Pourtant, un décret divin tomba, enjoignant le maître des prophètes d’accepter ces présents : « Ces miroirs me sont plus chers que tout, annonça le Créateur à Moché, parce que c’est grâce à eux que les femmes juives érigèrent de grandes armées en Égypte »…

De fait, durant l’exil égyptien, les Hébreux étaient soumis par leurs tortionnaires à des travaux forcés d’une rigueur difficilement soutenable les livrant à des labeurs si pénibles, qu’ils ôtaient aux hommes toutes leurs forces. Outre le poids de cette terrible oppression à laquelle il était contraint, le peuple hébreu fut alors menacé de s’éteindre avant même d’avoir pu éclore : cette situation exposait les hommes à une servitude telle qu’ils se voyaient souvent dans l’incapacité physique de se consacrer à donner jour à une progéniture.

Or conscientes de la gravité de la situation, les femmes d’Israël prirent parti d’employer toutes leurs vertus afin d’écarter ce danger : lorsque les hommes revenaient du labeur, elles s’évertuaient à captiver leur attention en faisant preuve d’une grande habileté. Chaque femme réconfortait son mari avec des plats et des boissons, puis elle apportait un miroir dans lequel elle se comparait avec son mari et le taquinait en lui disant : « Je suis plus belle que toi ! ».

C’est de la sorte que ces femmes vertueuses eurent à coeur, en pleine oppression égyptienne, de se soucier de la pérennité de la descendance d’Israël en dépit des atrocités auxquelles leur progéniture pourrait être soumise. C’est donc pour cela qu’elles méritèrent que leurs miroirs soient consacrés à la confection du kiyor, cet ustensile qui avait notamment pour fonction de ramener la paix dans les foyers « ébréchés » d’Israël en soumettant la femme soupçonnée d’adultère à l’examen des « eaux amères ».

Dans l’optique de ce Midrach, le rav Chimchon Raphaël Hirsch zatsal formule en quelques mots une remarque porteuse d’un message judicieux : « Le fait que l’instrument destiné à ‘sanctifier les mains et les pieds’ – autrement dit consacré à la ‘sanctification de l’essence de l’acte et des aspirations’ – soit précisément confectionné à partir de miroirs, c’est-à-dire d’ustensiles dont le rôle est de présenter l’aspect physique et sensible de l’homme, est un phénomène qui mérite une méditation particulière ».

L’acte et l’aspiration – symbolisés par les mains et les pieds qui matérialisent la volonté et les intentions de l’homme – sont en effet l’expression de la nature humaine : c’est dans ce que nous faisons que nous révélons ce que nous sommes ; ou parfois, ce sont les actes qui, de gré ou de force, manipulent l’essence profonde de l’être humain au point de susciter chez lui une seconde nature.

Or, ce gros récipient placé à l’intérieur du Temple et destiné à sanctifier les actions et les démarches des Cohanim avant qu’ils n’entament leur service sacerdotal, fut luimême marqué par le sceau de cette facette sensible, perceptible et superficielle de la nature humaine. « En effet, poursuit le rav Hirsch, la perception et les sens révèlent la nature profonde de l’essence humaine, qui seront les premières susceptibles de l’amener à la libération morale de l’aspiration à la sainteté ».

A l’opposé d’une approche ascétique récusant toute valeur accordée à la nature sensible de l’être humain, le rav Hirsch décèle donc dans cet instrument du Temple la preuve probante de l’aval accordé par la Torah à toutes les valeurs de la nature.

Dans la prolongation de ce pertinent commentaire, remarquons en effet que le miroir se présente comme un instrument lisse, plat et uniforme, dénué de toute profondeur. Au propre comme au figuré, il ne reflète que la nature superficielle de l’homme. Mais pourtant, c’est à lui que fut confié le soin de purifier toutes les démarches concrètes de l’homme. Au lieu de rejeter en bloc la réalité sensible des êtres de la terre, c’est au contraire en la saisissant à bras-lecorps que l’homme peut s’engager dans la voie de la sainteté !

Par leur attitude et leur résolution, les femmes du peuple hébreu administrèrent la preuve, en plein coeur de l’Égypte, au fait qu’elles surent prendre part à cette approche. Incitées par une intention pure et animées de la volonté d’empêcher leur peuple de s’éteindre sous l’effet d’une coercition si opressante et malveillante, elles usèrent de cette facette superficielle et « apparente » de leur personne pour la mettre au service des intentions les plus profondes qui soient !

Telle fut la démarche de ces femmes pieuses, et tel était le processus incontournable qui permettait à un Cohen de consacrer ses actions concrètes au service du Temple, dans l’enceinte même de la source de la sainteté.

Car s’ils sont employés à bon escient, jamais les sens ne constitueront une entrave à l’innocence.

Y. Bendennoune

Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française