La manne que consommèrent les Hébreux pendant les quarante années de pérégrination dans le désert était un aliment extraordinaire. Le verset en témoigne lui-même : « Il t’a nourri avec cette manne que tu ne connaissais pas et que n’avaient pas connue tes pères » (Dévarim 8, 3).

Juste avant que la manne commence à tomber, D.ieu l’annonça ainsi : « Je vais faire pleuvoir pour vous une nourriture céleste » (Chémot 16, 4). Les Psaumes la qualifient quant à eux de « pain noble » (Téhilim 78, 25) – c’est-à-dire, selon le Talmud, que « c’est le pain que consomment les Anges de service » (Yoma 75/b).

Même à notre faible niveau de compréhension, nous savons très bien que les anges ne sont pas dotés de qualités physiques : leur substance étant entièrement spirituelle, ils n’ont évidemment pas besoin de se nourrir à partir d’éléments matériels. Force est d’en conclure que la manne que consomment les anges est elle-même une réalité spirituelle, correspondant à leurs besoins. S’il en est ainsi, la question se pose : comment un peuple entier put-il survivre pendant quarante ans avec une telle nourriture ?
Le Alchikh apporte un éclairage remarquable à ce sujet. Il note que le corps et l’âme humaine sont de natures totalement différentes, puisque le premier fut créé à partir de la poussière de la terre, et la seconde est un substrat spirituel, émanant des Mondes célestes. Pourtant, on ne peut nier que ces deux entités sont étroitement liées : chacune d’elles influe sur l’autre et l’interaction entre elles est incontestable. À cet égard, la nourriture physique que l’on consomme agit également sur l’âme, puisqu’elle lui permet de survivre. Et lorsqu’un homme meurt de faim, non seulement son corps en souffre, mais même son âme finit par le quitter. De la même manière pour la génération du désert : chez ces hommes, le corps était secondaire par rapport à l’âme, et de la sorte, lorsqu’ils consommaient la nourriture des anges, même leur corps en était rassasié…
Le Sfat Émet mentionne une idée similaire. D’après lui, dans le verset : « Je vais faire pleuvoir (…) une nourriture céleste et J’éprouverai [anassénou] de la sorte s’il obéit à Ma doctrine » (Chémot 16, 4) –, le mot « anassénou » évoque également une idée de hauteur et d’élévation [ness]. En effet, explique-t-il, « il ne fait aucun doute que les corps des enfants d’Israël s’élevèrent, après qu’ils consommèrent la nourriture des anges. En ce sens, les mots : “Le peuple sortit” est une allusion au fait que les hommes quittèrent leur enveloppe matérielle, au point que leur corps se purifia comme les anges… »
Ceci permet d’ailleurs de mieux comprendre l’une des propriétés particulières que, selon nos Sages (cités par Rachi Bamidbar 11, 8), possédait la manne : son goût changeait selon la volonté de celui qui la mangeait. De fait, s’il s’agissait d’un aliment matériel, il est évident que ce genre de phénomènes aurait été incompréhensible, puisqu’une pomme n’aura jamais le goût de la viande. Mais à partir du moment où il s’agissait d’une nourriture spirituelle, tout était possible…
Les préparatifs du Chabbat
Lorsque le Saint béni soit-Il annonce à Moché qu’Il s’apprête à faire tomber la manne, Il précise notamment : « Le sixième jour, ils accommoderont ce qu’ils auront apporté » (Chémot 16, 5). De prime abord, cette précision semble se résumer à un bon conseil : étant donné que la manne ne tombait pas le septième jour (le Chabbat), il leur fut conseillé d’accommoder leurs plats dès le vendredi, afin qu’ils aient de quoi manger le lendemain. Mais dans les ouvrages décisionnaires, il apparaît que les préparatifs, la veille du Chabbat, sont eux-mêmes considérés comme une mitsva.
De fait, le Choul’han Aroukh (Ora’h Hayim 250, 1) statue : « On se lèvera tôt le vendredi pour entamer les préparatifs du Chabbat. » Les commentateurs expliquent que l’on déduit le devoir de se lever tôt le vendredi des circonstances dans lesquelles la manne survenait. Selon les termes du verset, la manne tombait « chaque matin » – c’est-à-dire dès l’aube. Il convient donc que les préparatifs du Chabbat débutent de manière similaire. Selon rav Its’hak Hutner, cette obligation n’émane pas uniquement du principe selon lequel il convient d’accomplir les mitsvot avec zèle : depuis l’époque de la manne, le vendredi reçut une nouvelle identité, et est depuis lors le jour des préparatifs du Chabbat.
Puisque c’est de l’épisode de la manne que l’on en déduit cette obligation, ceci explique pourquoi, selon certains décisionnaires (Maguen Avraham 251, 6 au nom du Séder HaYom), les préparatifs du Chabbat procèdent d’une obligation de la Torah. Et à cet égard, ajoutent-ils, si après la prière du matin, l’on ne trouvera plus des denrées pour le Chabbat, on devra réaliser ces achats avant la prière, car le Chabbat prévaut sur la prière.
Se sanctifier avec le Chabbat
Toute mitsva accomplie lie l’homme au Créateur, et influe sur les Mondes spirituels de manière prodigieuse. Mais sur ce point, le Chabbat se distingue des autres mitsvot de la Torah : ce jour sacré ne se résume pas seulement à cesser d’exécuter des travaux, il est également un « jour de sérénité et de sainteté », comme nous le disons dans nos prières. Il imprègne le peuple juif d’une sainteté suprême, comme l’écrit le Alchikh (sur Ki Tissa) : « Ne crois pas que le Chabbat n’est pas davantage que le fait de chômer. Dans la mesure où ce jour se définit comme une alliance, il véhicule une valeur intérieure, un “lien entre Moi et les hommes” – c’est-à-dire qu’une dimension divine pénètre dans les hommes, à l’intérieur de leur âme. (…) Le Chabbat, l’homme devient un sanctuaire pour D.ieu. »
À cet égard, l’homme doit apprêter son âme et la conditionner pour être à même de recueillir cette sainteté supérieure. Le Sfat Émet renchérit sur cette idée en écrivant : « Chaque Juif doit avoir la certitude qu’une sainteté l’habite le Chabbat, que ce soit avec une grande ou une faible intensité, comme le dit le verset : “Car il est sanctifié pour vous [ou encore : il vous sanctifie].” La Torah nous signifie ainsi que cette sainteté habite même ceux qui ne la ressentent pas, car ceux qui la ressentent en ont conscience d’eux-mêmes » (Ki Tissa 5648). Cependant, même si cette élévation spirituelle imprègne tout homme, elle requiert néanmoins des préparatifs adéquats, comme l’écrit le Réchit ‘Ho’hma : « La sainteté du Chabbat émane d’un niveau extrêmement élevé. L’homme ne peut la ressentir tant qu’il est ‘vêtu’ des six jours de la semaine. C’est pourquoi il convient, pendant toute la semaine, de se sanctifier en vue du Chabbat, afin que le septième jour, il puisse accueillir Sa Sainteté. Ceci est à l’image d’un homme séjournant dans l’obscurité : s’il venait à sortir soudain à la lumière du jour, celle-ci l’éblouirait et il ne pourrait pas en profiter convenablement… » (Chaar HaKédoucha ch. 7, alinéa 98).
Par Yonathan Bendennnoune,Adapté à partir d’un article du rav Moché Reiss, pour Hamodia en hébreu.