Enseignement du Midrach (Beréchith Rabba 89, 3) : « Yossef, pour avoir demandé à deux reprises au maître-échanson de Pharaon de se souvenir de lui, a dû passer deux années supplémentaires en prison. “Heureux l’homme qui met sa confiance dans Hachem…” (Tehilim 40, 5) se réfère à Yossef, de même que : “… et qui ne se tourne pas vers les arrogants”. C’est en effet parce qu’il a insisté auprès du maître-échanson pour qu’il se souvienne de lui qu’il est resté détenu. »
Ce midrach semble contenir une contradiction. Il commence par tenir Yossef pour un modèle de la foi, puis il le blâme pour son manque de confiance en Hachem parce qu’il a cherché l’assistance de son codétenu.

Si les ateliers de la justice divine travaillent généralement avec une grande lenteur, explique le Rabbi de Kotzk, il existe une exception notable : les infractions des véritables justes. Ceux-ci ont l’avantage de recevoir une rétribution immédiate, ce qui leur permet de prendre conscience de la moindre déviation du sentier de la vertu presque aussitôt qu’ils l’ont commise, et de corriger leurs erreurs avant qu’elles deviennent irréparables.
Le cas de Yossef constitue une parfaite illustration de ce principe. Sa faute était simplement d’avoir demandé à deux reprises au maître-échanson de se souvenir de lui. Et, précisément parce qu’il était « l’homme qui met sa confiance dans Hachem », il a été puni aussitôt. Une personne de moindre foi n’aurait pas été traitée de cette façon.\r\nLe ‘Hazon Ich (Emouna ou-bitahon 2, 6) propose une explication différente : Yossef avait certainement une foi parfaite en Hachem, mais il est de principe que l’on doit déployer aussi une part de hichtadlouth, un certain effort personnel, et ne pas compter exclusivement sur des miracles. Ainsi, l’erreur de Yossef n’est pas d’avoir essayé de s’en sortir par ses propres moyens, mais dans le procédé qu’il a choisi. Notre obligation dans ce domaine est limitée aux actions qui contiennent une chance raisonnable de réussite. Les actes de désespoir, en revanche, même s’ils sont exécutés à des fins de hichtadlouth, sont inacceptables, car ils contredisent, voire dénigrent, la foi inébranlable. « Se tourner vers l’arrogant » maître-échanson constituait précisément un tel acte de désespoir, car des individus hautains ne viennent jamais en aide à ceux qui ont moins de chance qu’eux. Voilà pourquoi Yossef a été blâmé pour ses efforts.

Ce fut le matin […] et il envoya appeler tous les devins de l’Egypte et tous ses sages. Pharaon leur raconta son rêve, et nul ne les interpréta pour Pharaon. (41, 8)

Les sages de Pharaon, explique Rachi, étaient capables d’interpréter le songe : Celui-ci aurait sept filles et il les enterrerait toutes. Mais ce qu’ils lui disaient ne le satisfaisait pas.
A ce propos, le Midrach (Beréchith Rabba 89, 6) cite ce verset (Michlei 14, 6) : « Le persifleur – c’est-à-dire, ici, les hommes sages et les magiciens de Pharaon – recherche la sagesse mais elle lui échappe, tandis que le savoir vient facilement à l’homme intelligent », c’est-à-dire à Yossef.
A quoi le Midrach fait-il exactement allusion ? En quoi les magiciens égyptiens étaient-ils considérés comme des « persifleurs recherchant la sagesse » ?
Un persifleur est un homme qui a l’habitude de penser superficiellement, explique le Netsiv. Comme il n’est pas formé à clarifier ses facultés quand il analyse un problème, il n’a jamais acquis de méthode pour différencier une question aisément soluble, et celle qui nécessite une approche plus profonde. C’est pourquoi, quand il est face à une quelconque difficulté, il écarte aussitôt la solution évidente qui lui saute aux yeux et en recherche une autre plus ardue. Il « recherche la sagesse » là où elle n’est pas.

Le sage, en revanche, qui a l’habitude de réfléchir intensément, est à l’aise pour résoudre ses problèmes. Aussi détermine-t-il facilement lequel peut être traité superficiellement, et lequel exige une approche plus sophistiquée.
Le symbolisme du rêve de Pharaon était presque évident. Les épis de blé battus par les intempéries et les vaches maigres indiquaient clairement des années de famine. Mais les magiciens égyptiens, étant des « persifleurs » accoutumés à penser superficiellement, ont automatiquement supposé qu’il fallait chercher une signification plus profonde. C’est pourquoi ils ont élaboré des interprétations forcées où Pharaon enfantait puis enterrait sept filles, ce qui lui a paru sonner faux. Yossef, en revanche, était un « homme intelligent », et donc capable de discerner que la solution la plus évidente était la bonne : Les songes du souverain prédisaient sept années de famine.

Pharaon envoya appeler Yossef, on le fit accourir hors du cachot. Il se rasa, changea ses vêtements, et il vint vers Pharaon. (41, 14)

A chaque décret divin s’applique une durée déterminée, explique le Hafets ‘Hayim. Aussitôt que le temps prévu a passé, le Saint béni soit-Il ne permet plus au décret de sévir, ne serait-ce qu’un court moment. Ici aussi, le délai imposé à Yossef par la décision de Hachem était expiré. C’est pourquoi « on l’a fait “accourir” hors du cachot », afin de ne pas l’y laisser un seul instant de plus que nécessaire.

Il s’est produit exactement la même chose lorsque les enfants d’Israël ont quitté l’Egypte. « Ce fut au bout de quatre cent trente ans, ce fut en ce jour-là même que sont sorties toutes les armées de Hachem du pays d’Egypte », relate la Tora (Chemoth 12, 41). C’est « ce jour-là même » qu’ils sont partis, explique Rachi, car le terme fixé par le décret étant atteint, Dieu n’a pas voulu les y garder même le temps d’un clin d’œil. C’est le 15 nissan qu’Il avait conclu avec Avraham « l’alliance des morceaux » (berith bein ha-betharim), c’est le 15 nissan que les anges avaient annoncé à celui-ci la prochaine naissance de Yits‘haq, et c’est le 15 nissan que les enfants d’Israël sont sortis d’Egypte.
La libération finale que nous attendons fiévreusement apparaîtra de la même façon. Quand sonnera le moment de la venue du Messie, les événements se produiront d’une manière très soudaine et inattendue. Et, comme pour Yossef, on nous fera tous « accourir hors du cachot » de l’exil.
Le Admor de Skoulen interprète différemment la façon dont Yossef a été sorti du cachot. Le Ciel l’avait estimé capable d’accéder à des fonctions royales parce qu’il avait su maîtriser son penchant au mal et avait refusé de succomber au péché. Le point culminant de son comportement héroïque a été atteint quand il « s’est enfui au-dehors » (Beréchith 39, 12) pour échapper à une grande tentation. Il est extraordinaire de constater que sa fuite hâtive devant l’incitation a été récompensée par la précipitation avec laquelle on l’a sorti du cachot, quand est arrivé le moment de sa libération.