La  » génération du désert  » a atteint un niveau moral et spirituel très élevé. En effet, les hommes de cette époque avaient assisté à tous les prodiges de la sortie d’Égypte, c’est à eux que fut donnée la Torah, et ils vécurent entourés des Nuées célestes !


C’est pourtant un fait qu’en dépit des formidables révélations auxquelles ils avaient assisté et participé, les enfants d’Israël se rebellèrent à de nombreuses reprises, au point que nos Sages déclarent (Maxime des Pères, chapitre 5, 6) : « À dix reprises, nos pères éprouvèrent D.ieu dans le désert »…
C’est dans ce contexte que s’expliquent les différentes étapes énumérées par la Torah dans notre paracha : « Moché écrivit leurs départs et leurs stations sur l’ordre de l’Éternel. Et voici leurs stations et leurs départs (…) », (Bamidbar, 33, 2). Or singulièrement, le verset place au début les départs avant les stations, puis lorsqu’il annonce leur énumération, ces mots apparaissent dans l’ordre inverse.

La réponse à ce paradoxe est révélée par le Sforno : « Car parfois, l’endroit où ils se rendaient était funeste à l’extrême, tandis que le lieu qu’ils venaient de quitter était favorable (…), et d’autres fois, l’inverse était vrai ».
Ce récit est pour nous porteur d’un message vibrant que formula le Sfat Emet en ces termes : « Toutes ces pérégrinations sont énumérées pour faire savoir au peuple de D.ieu, qu’un serviteur de l’Éternel ne doit pas désespérer face aux nombreux échecs qu’il peut rencontrer dans sa vie. Il devra savoir que les choses sont ainsi : tout homme a des hauts et des bas (…) et cette réalité se retrouve chez chaque individu, quel qu’il soit » (Massé 5646).

C’est dans les épreuves que naît la Délivrance
Non seulement à l’époque de la traversée du désert, mais aussi tout au long de la longue histoire de notre peuple, nous retrouvons cette dualité constante : la matérialité opposée à la spiritualité !
Selon le Ramban, on retrouve cette occurrence dès les prémices de la royauté de David. En effet, lorsque – bien avant l’époque de David – Tamar, son ancêtre, donna le jour aux deux fils de Yéhouda, les enfants furent nommés Zéra’h et Péretz. Or, dans son commentaire sur Béréchit (38, 29), le Ramban cite un midrach de rabbi Né’hounya ben Hakana où l’on apprend la signification du nom Péretz [la brèche] : « C’est au nom de la lune qui apparaît parfois entière et d’autres fois ‘ ébréchée ’. Or, la lune est spécifique à Péretz, à cause de la royauté de David qui en descendra ». Si ces explications font clairement référence à des notions cabalistiques, nous ne pouvons pas moins percevoir grâce à elles une idée essentielle : la royauté de David sera marquée par l’inconstance et elle sera semblable à la lune qui apparaît et disparaît tout au long du mois…

Un temps pour aimer, un temps pour haïr…

Comme nous l’avons vu, ce principe est valable aussi bien à l’échelle collective que pour chaque personne particulière. Voici ce qu’écrivit à ce sujet Rabbi Mendel de Vitwask dans son ouvrage  » Péri haArets  » (sur Vayéchev) : « Ainsi fonctionne également le service de D.ieu pour chaque individu, tous les jours de sa vie : aucune période ne ressemble à une autre : ‘ Il est un temps pour aimer, et il est un temps pour haïr ’ (L’Ecclésiaste, 3,8). Car telle est la nature humaine : elle évolue à chaque instant, comme le dit le verset : ‘ A chaque instant Tu l’éprouves ’, (Job, 7, 18) ; et c’est là son essence puisqu’à tout moment, elle se défait d’un habit et elle en revêt un autre sans guère pouvoir se maintenir dans une même situation ».

Chaque personne faisant preuve d’un tant soit peu d’objectivité pourra confirmer combien ces paroles sont justes et pertinentes ! Car nul n’échappe à ces moments de « marées hautes » – pendant lesquelles la vie spirituelle s’épanouit comme par enchantement – et ces périodes de « marées basses », où même une simple prière devient un supplice et où toutes nos bonnes intentions semblent s’écrouler d’elles-mêmes…

Or, s’il est évident que l’on ne peut « s’autoriser » de ne faire chaque fois que  » suivre le mouvement  » et qu’il nous incombe par conséquent de combattre cette tendance par tous nos moyens, il nous est – dans la même mesure – interdit de nous laisser aller au désespoir à la suite de ces périodes funestes.

Dans cet ordre d’idée, le fameux Rabbi de Kotsk s’est justement livré à une explication fort profonde du verset d’Échet ‘Haïl (L’épouse vertueuse) :« Elle rira au dernier jour » (Proverbes 31, 25). En effet, précise-t-il, dans toute lutte et dans toute forme d’antagonisme, il y a des moments où c’est l’aspect positif qui domine, et d’autres où ce sont les forces négatives qui reprennent le dessus. Mais en fin de compte, le véritable vainqueur sera celui qui aura le dernier mot et qui aura été capable de tenir tête jusqu’au bout sans fléchir. Ainsi, dans le domaine spirituel, l’homme ne progresse que s’il s’en tient fermement à cette ligne de conduite qui pourrait se résumer lapidairement dans le proverbe : « Rira bien qui rira le dernier ». Car c’est lorsqu’on est capable de rester confiant jusqu’au dernier instant que l’on s’assure la victoire sur le mauvais penchant.

Une question… et sa réponse !
Dans cet esprit, le rav Dessler cite une remarquable idée enseignée par rav ‘Haïm de Volhozin. Dans le Traité talmudique Bé’horot (page 8), figure une série de questions qu’avaient posées le « Sages d’Athènes » au maître du Talmud, Rabbi Yéhochoua ben ‘Hanania. Or, dans son approche simple, ce dialogue est tout simplement surprenant : les questions semblent singulières et les réponses le sont tout autant ! Mais l’un de ces échanges est expliqué de manière remarquable par Rabbi ‘Haïm de Volhozin.

Parmi les questions posées par les Sages d’Athènes, il y eut la suivante : « Lorsque le sel s’altère, avec quoi peut-on le saler ? » ; ce à quoi Rabbi Yéhochoua répondit : « Avec le placenta d’une mule ». Aussitôt, les sages grecs rétorquèrent : « La mule a-t-elle seulement un placenta ? » – puisque tout le monde sait que les mules sont généralement stériles… Et Rabbi Yéhochoua ben ‘Hanania d’enchaîner : « A-t-on jamais vu le sel s’altérer ? ».

Débat surprenant s’il en est… Mais selon le maître de Volhozin, on pourrait l’interpréter comme suit : nous savons que l’exil est destiné à inciter Israël au repentir afin de lui faire mériter la Rédemption. Or malheureusement, les faits et le déroulement de notre histoire ne suivirent guère ce modèle. Ce qui suscita la question des Grecs : « Lorsque le sel [allusion à l’exil] perd son effet, quel espoir reste-t-il ? ». Et la réponse survint alors : « De la même manière que la mule n’a pas de placenta, ainsi le sel ne pourrira jamais » ; autrement dit, bien qu’il fût annoncé que le peuple d’Israël serait en exil semblable à une « femme stérile qui n’enfantera jamais », nous voyons pourtant que ce même peuple continue de vivre et de s’épanouir en dépit de sa prétendue « stérilité ». Cela nous apprend qu’au détriment de tous les décrets prononcés contre notre peuple, ceux-ci ne sont guère respectés. Et de même pour l’exil : bien que son objectif semble ne pas avoir été atteint, on ne peut se fier aux apparences car en fin de compte, nous sommes assurés qu’Israël finira par se repentir et être délivré. En d’autres termes, « jamais le sel ne s’altèrera »…

Par Yonathan Bendennnoune,avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française