Le livre des « Juges » partie V

 

Continuant la série d’articles que nous consacrons au livre du Tanakh appelé Séfèr Choftim (« Livre des Juges »), nous aborderons cette semaine les sujets suivants :

– La vie des Tribus à l’époque des Juges.

– Judicature et Monarchie.

– Les « petits « Juges.

La vie des tribus

Si la période embrassée par le séfèr Choftim fait immédiatement suite à celle du livre de Josué, son contenu en est fort différent.

Le contraste est parfaitement décrit dans les versets 2, 7 à 2, 11 : « Le peuple servit Hachem tous les jours de Josué […] Josué, fils de Noun, serviteur de Hachem, mourut, âgé de cent dix ans […] et après eux, se leva une autre génération qui ne connaissait pas Hachem, ni l’œuvre qu’il avait faite pour Israël […] Les enfants d’Israël firent ce qui est mauvais aux yeux de Hachem, et servirent les Ba‘als. »

Tandis que, dans le livre de Josué, c’est de l’ensemble du peuple qu’il est généralement question, le séfèr Choftim révèle une force centrifuge qui l’a fait voler en éclats et où les agents de l’histoire ne sont plus le peuple pris dans son ensemble, mais les tribus considérées individuellement.

– Les tribus de Galilée subirent l’oppression des peuplades cananéennes (4, 3).

– Quant à celle d’Aser, elle resta noyée au sein d’enclaves cananéennes qui l’empêchèrent de prendre possession du territoire qui lui avait été attribué (1, 31 et 32).

– Celle de Juda prit possession du sud de la plaine côtière (Gaza, Achqelon et ‘Eqron), mais elle fut contrainte de se replier dans les montagnes devant un ennemi cananéen puissamment armé de chars de fer (1, 19).

– Les tribus dites « transjordaniennes » (Ruben, Gad et la moitié de celle de Manassé), après avoir fidèlement respecté la promesse faite à Moïse de participer aux côtés des autres à la conquête d’Erets Yisrael (voir Bamidbar 32, 1 et suivants, Josué 4, 12), se sont installées sur leurs terres. Cependant, elles sont apparues de plus en plus séparées de celles établies en Erets Kena‘an – stricto sensu, comme par une sorte de frontière constituée par le Jourdain.

C’est ainsi, en ce qui concerne la tribu de Ruben, que le cantique de Devora fait allusion à ses « divisions » (pelagoth – voir 5, 15 et 16). Selon Yehouda Elitsour (Séfèr Choftim – Collection Da‘ath miqra, éditée par le Mossad harav Kook à Jérusalem), ce mot est à rapprocher de ce qu’indique le premier livre des Chroniques (5, 8 à 10), lequel précise qu’elle s’est répandue jusqu’à l’Euphrate, se dispersant ainsi à travers l’ensemble du désert syrien, et ce jusqu’à l’époque du roi Saül.

La tribu de Ruben se serait ainsi séparée (niflega) des autres, et se serait tenue à l’écart de la bataille du Kichon pour observer une prudente neutralité (voir Rachi, Radaq et Metsoudath David sous 5, 15).

– Il en a été de même de Gad, bien installé en terre de Guil‘ad. Il s’est lui aussi abstenu de venir en aide à ses frères (5, 17 et commentaires ad loc.).

– La tribu d’Ephraïm mérite une mention particulière. Elle a été probablement la plus turbulente de toutes, puisqu’on la verra s’en prendre à Gédéon, lui reprochant de n’avoir pas fait appel à elle pour guerroyer contre Midian. Gédéon, fin diplomate, parvient à calmer sa colère en louant sa participation aux combats qui ont marqué la fin des hostilités (voir commentaires sur 8, 2).

Les choses se passeront moins bien avec Jephté, à qui Ephraïm adressera le même reproche – de l’avoir tenue à l’écart des hostilités avec Ammon – allant jusqu’à le menacer de brûler sa maison (12, 1). La querelle dégénérera en une véritable guerre civile.

 

Judicature et Monarchie

La fonction de chofèt (« juge ») fait inévitablement penser à celle de roi. Abarbanel, dans son introduction au séfèr Choftim s’attache à comparer la fonction royale et celle de chofèt, et il conclut qu’il existe entre les deux cinq similitudes et cinq différences.

Elles se ressemblent par la nature des rôles exercés, par la procédure d’investiture, par les responsabilités dans les domaines de la sécurité et de la justice, par le pouvoir et le respect dû à la fonction, ainsi que par la continuité.

Certaines différences sont un reflet du statut personnel du roi, comme l’onction, les privilèges et les devoirs personnels, de même que la succession dynastique.

On peut signaler aussi que, selon le Ramban (Na‘hmanide), on doit considérer comme un chofèt le dirigeant qui a le pouvoir de gouverner mais sans détenir le statut personnel de roi. Ses attributions sont les mêmes, à l’exception de la « gloire royale » (hod malkhouth).

Pour le Rambam (Maïmonide), au contraire, un tel dirigeant est à considérer comme un « roi non davidique ».

Cette différence tient au fait que le Rambam considère la monarchie, avec sa composante dynastique, comme répondant à la fois à un besoin fonctionnel et à un but sacré, tandis que le Ramban la perçoit comme une manifestation de la volonté divine, et non comme apportant un avantage supplémentaire au niveau humain.

Les « petits « Juges » »

Les chapitres 10, 1 à 5 et 12, 8 à 15 contiennent la liste de ceux que l’on peut appeler les « petits « Juges » ». Les enfants d’Israël ont été gouvernés par de nombreux choftim pendant la période qui s’est écoulée entre la fin de la conquête d’Erets Yisrael et l’institution de la monarchie, mais le livre qui leur est consacré ne traite en détail que de certains d’entre eux.

Ce qui a déterminé le choix entre un développement abondant et une simple énumération semble avoir été, ici comme dans l’ensemble des livres bibliques, l’appréciation de l’utilité pour les générations à venir (voir Meguila 14a, Qiddouchin 29a). Ont été largement traitées les biographies dont il y avait lieu de retirer un enseignement, soit quant aux hauts faits, soit quant aux échecs des divers personnages, soit encore en raison de l’éclat de telle intervention divine à une époque donnée.

En revanche, n’ont eu droit qu’à une brève mention ceux dont l’existence n’a pas paru à l’auteur mériter qu’il s’y attarde. Il en est même un dont le nom ne figure pas du tout dans le livre : Celui de Bedan n’apparaît que dans I Samuel 12, 11 : « Hachem envoya Yerouba‘al, et Bedan, et Jephté, et Samuel, et Il vous délivra de la main de vos ennemis tout autour… » Il est vrai que Rachi (ad. loc.), reprenant l’enseignement contenu dans Roch hachana 25a, signale que Bedan n’est autre que Samson, « lequel était issu de la tribu de Dan ».

Sont à considérer comme des « petits « Juges » » :

– Chamgar (3, 31). – Tola’ (10, 1 et 2).

– Yaïr (10, 3 à 5).

– Ivtsan (12, 8 à 10).

– Eilon (12, 11 et 12).

– ‘Avdon (12, 13 à 15).

(à suivre)

Jacques KOHN Zal