Il y a 30 ans, le 3 Sivan 5741, disparaissait le rav Elie Munk, rabbin de la communaute orthodoxe de la rue Cadet à Paris et auteur de la célèbre ''voix de la torah''. A cette occasion, nous lui rendons hommage.

La scène se déroule en 1972, lors de l’émouvant banquet organisé par la communauté de la rue Cadet à l’occasion du départ en retraite de son cher rabbin. Ce jour-là, dans un discours qui a marqué tous les participants, le rabbin Elie Munk zatsal avait ainsi résumé son action : « J’ai toujours recherché le Chalom ». Celui dont on commémore, le 3 Sivan, le trentième anniversaire de décès, aurait pu parler de ses livres qui lui assuraient déjà la reconnaissance du monde de la Torah. Il aurait également pu insister sur l’influence considérable qu’il exerça durant quatre décennies sur la synagogue de la rue Cadet ou sur son rôle dans la reconstruction du judaïsme orthodoxe français après la Shoah. Mais c’est plutôt sur un objectif d’apparence plus modeste – la bonne entente – que le rav Munk avait décidé de mettre l’accent dans son discours d’adieu. Un choix conforme à l’image qu’ont gardé de lui tous ceux qui l’ont connu. « Il était extrêmement calme et pondéré et savait avec tranquillité et assurance mettre les gens face à leurs responsabilités », résume ainsi le rav Claude Lemmel, qui a travaillé durant de longues années à ses côtés. « Mais derrière cette amabilité se cachaient une culture générale immense, une très grande fermeté ainsi qu’une piété pure et intransigeante ».

Le rabbin Elie Munk était né le 15 septembre 1900, à Paris, dans une famille orthodoxe de nationalité allemande. Il avait reçu le nom de son grand père, rabbin d’Altona, dans la banlieue de Hambourg. Négociant en cuir, Samuel Munk, son père s’était installé dans la capitale française pour ses affaires. C’est donc tout naturellement que la famille Munk fréquente la synagogue Adas Yereim, située rue Cadet, où l’on suit le rite allemand de Hambourg. Orphelin à onze ans, après le décès de sa mère Amélie Munk née Strauss, il doit quitter précipitamment Paris avec sa famille, trois ans plus tard, lorsqu’éclate la Première guerre mondiale. De nationalité allemande, les Munk sont en effet désormais considérés comme des ennemis. Direction Berlin où le jeune Elie suit une scolarité classique doublée d’une très solide formation en kodech, conformément à l’enseignement du rav Chimchon Raphaël Hirsch. Une approche de la « Torah im dere'h eretz », dont le rav Munk deviendra par la suite l’un des plus éminents représentants.

Yekke de stricte observance
Étudiant au très fameux séminaire rabbinique Hidelsheimer de Berlin, il reçoit son diplôme de rabbin en 1925. En plus du Tana’h, du Talmud et du Choul’han Arou’h, il se plonge également dans l’étude du Zohar. Une passion qui ne le quittera jamais mais dont il ne fera jamais étalage. Le rav Lemmel se souvient ainsi de sa surprise après avoir découvert durant un office de Yom Kippour, que son maître, enveloppé dans son talith, était plongé dans un ouvrage de kabalah. « Yekke » de stricte observance mais à la curiosité sans limite, le rav Munk avait ainsi l’habitude d’expliquer que « la ‘hassidout est le vin de la Torah ». Armé d’une immense érudition, il ne craignait d’ailleurs pas de se frotter à la pensée profane, comme en témoigne son doctorat de philosophie obtenu en 1926 à l’Université de Berlin, après avoir soutenu sa thèse sur « La philosophie dans les œuvres de Victor Hugo ».
Un an plus tard, il devient rabbin à Ansbach, en Bavière. Il épouse alors la fille du président de la communauté orthodoxe de Nuremberg, Fanny Goldberger zatsal. Marquée par la montée du nazisme, cette période allemande est cependant riche puisqu’il y écrit son premier ouvrage, « Le Monde des Prières », qui sera immédiatement salué pour son apport à la pensée juive. C’est également à Ansbach que naissent les premiers de ses sept enfants deux garçons et cinq filles – des époux Munk. Mais en 1937, la situation des Juifs devenant intenable en Allemagne, ils doivent partir.
Direction Paris pour un retour aux origines, puisqu’Elie Munk se voit proposer de devenir le rabbin de la synagogue de son enfance, rue Cadet. Il y succède au rav Weiskotz zal, qui s’était éteint à l’âge de 100 ans, après avoir été en poste durant 78 ans ! La « Communauté israélite de la stricte observance » est alors fréquentée par des Juifs d’origines allemande, hongroise ou roumaine. On y trouvait plusieurs personnalités en vue du judaïsme français ou du monde des affaires, et Cadet s’enorgueillit d’être alors l’une des seules synagogues orthodoxes de Paris, avec celles de la rue Pavée, Rashi Shoul et par la suite celle de la rue Montevideo. « Les fidèles étaient foncièrement religieux, très attachés à la Torah, mais sans aucune ostentation non plus », se souvient Gérard Lévy, qui présidera plus tard la communauté de la rue Cadet. Ce qui n’empêchera pas le rabbin Munk de tracer des limites très claires dès son arrivée, menaçant de démissionner si l’interdiction de porter durant Chabbat n’était pas plus rigoureusement respectée (voir le témoignage de Jacques Kohn).
En septembre 1939, l’Histoire semble se répéter pour le rabbin Munk. A nouveau suspect après le début de la Seconde guerre mondiale, car Allemand, il est enfermé avec 15 000 autres hommes dans le stade de Colombes. Il y passera Roch Hachana, organisant minyanim et prières, avant d’être interné dans le Loir-et-Cher. Libéré lors de l’effondrement de l’armée française, il s’installe alors en zone libre, à Nice, avec sa fille, avant de gagner la Suisse, où il restera jusqu’à la fin de la guerre.

« Un judaïsme heureux »
Lorsqu’il regagne la rue Cadet en 1945, le judaïsme parisien est en ruine. Mais il faut d’abord faire face à l’urgence et à l’arrivée massive des réfugiés et des rescapés des camps. Une tâche dans laquelle le rav Elie Munk s’investira pleinement. C’est à cette époque-là que des liens très forts se noueront avec une autre grande famille du judaïsme orthodoxe français : les Kohn. Déjà, avant guerre, les deux familles avaient l’habitude de partir ensemble en vacances. « Mon père zal et le rabbin Munk étaient très amis. C’est lui qui a appris à maman que notre père avait été assassiné à Auschwitz. Il a également fixé le jour de son yortzeit », se souvient la rabbanite Schlamé, née Kohn. « Il nous a pris sous son aile. Nous le consultions à chaque décision importante ».
Les enfants Kohn, parmi lesquels le fondateur du Collel de Marseille, rav Philippe Yaacov Kohn zal, deviennent des habitués du logement des Munk, au 18 de la rue Notre-Dame de Lorette. Un grand appartement modestement meublé qui disposait d’une terrasse permettant au rav Munk de construire une soucca, malgré les protestations systématiques des voisins. « Nous y avons connu un judaïsme heureux. Cela rayonnait sur toute la communauté », résume la rabbanit Schlamé. Des souvenirs partagés par sa sœur, Françoise Szmerla, dont le fils est aujourd’hui dayan de Strasbourg : « Il régnait chez les Munk une très grande énergie et un immense sens de l’humour. La rabbanite, surtout, était la joie de vivre personnifiée ».

Un penseur en action
Le rabbin Munk s’attelle, lui, à mettre sur pied les bases d’institutions conformes à une pratique orthodoxe. Il participe ainsi à la création de l’école Yavné et dirige le comité de soutien à la yéchiva d’Aix-les-Bains, une nouveauté à l’époque. Il s’investit également beaucoup dans la mise en place d’une che’hita de qualité permettant enfin aux orthodoxes parisien de manger de la viande cachère. Quelques années, plus tard, il apportera même sa caution au Consistoire, en siégeant à la commission de la che’hita où il mettra en place des normes d’abattage strictement conformes à la halakha. « Cela ne s’est pas fait sans mal, y compris du côté du monde ‘harédi où l’on se méfiait du Consistoire », témoigne Gérard Lévy. Quant au rav Lemmel, il se souvient du « profond respect » que lui témoignaient les cho’hatim, dont « beaucoup étaient issus du mouvement ‘Habad ».
Très prenantes, ces activités communautaires ne le tinrent cependant jamais éloignées du monde du limoud. C’est ainsi qu’il rédigea une dizaine d’ouvrages, dont certains sont devenus des classiques, comme sa traduction française du ‘Houmach avec Rachi ou « La Justice sociale en Israël ». Mais son œuvre majeure restera, sans aucun doute, « La Voix de la Torah » qui trône aujourd'hui dans la plupart des bibliothèques des familles juives de France et à laquelle il travailla durant trente ans.

Tourné vers l’Amérique
Influencé par la ligne de l’Agoudat Israël dont il était le représentant français, et rendu pessimiste par son expérience de Juif franco-allemand, le rav Munk ne croyait pas que la Torah puisse se développer en France. Une opinion qu’il finira pas réviser devant la renaissance provoquée par l’arrivée massive des Juifs d’Afrique du Nord. Mais c’est vers l’Amérique que ses espoirs se portaient lorsqu’il s’agissait de l’avenir de la yiddishkeit. Il y envoya ainsi ses sept enfants dès qu’ils furent en âge d’entrer à la yéchiva ou de se marier. Aujourd’hui, les Munk ont pris souche dans le monde ‘harédi de New-York et de ses environs. Seule l’une de ses filles, Amélie zal, déviera de la trajectoire américaine. Mais en épousant le futur grand rabbin de Grande-Bretagne, rav Lord Imannuel Jakobowicz, elle restera dans le cœur de la communauté juive britannique, qui l’avait surnommée « Lady Amélie » ou « Lady J. ».
C’est d’ailleurs aux Etats-Unis que le rav Elie Munk s’installe en 1973, après qu’un accident cérébral l’a contraint à abandonner la direction de la communauté de la rue Cadet. Il passera ainsi les dernières années de sa vie dans le quartier froum de Borough Park, à New York. Il s’éteindra deux ans après son épouse, le 3 sivan 5741, 5 juin 1981.
Le rabbin Elie Munk zatsal est enterré au cimetière du Mont des Oliviers, à Jérusalem. Par Serge Golan en partenariat avec Hamodia.fr