Beaucoup de gens nous parlent de l’extrême importance du monde futur et du fait que la finalité du monde se trouve là-bas.  Pourquoi donc la Torah ne parle-t-elle pas vraiment du Olam Haba ?

Voyez le commentaire du Abrabanel (début de Be’houkotay) qui en parle et amène sept explications différentes apportées par les commentateurs. Hélas, le Abrabanel écrit dans un style bien trop long et épuisant à lire, mais heureusement, pour ce point, le Kli Yakar (Vayikra XXVI, 12, Vehithalakhti betokhekhem) est passé après lui et a résumé ses dires.

[Au passage, le Kli Yakar est aussi le premier signataire de l’imprimatur du livre qui résume les écrits du Abrabanel sur Pirkei Avot.
Il y souligne le caractère épuisant du style d’écriture de Rav Its’hak Abrabanel et remercie l’auteur de cet abrégé sans lequel les écrits du Rav seraient voués à l’oubli.
Je lance ici un appel à qui pourrait résumer les écrits du Abrabanel sur la Bible !]

Voici les sept réponses :

1) Rambam (Hil. Tshouva IX, 1) (et cité par son fils dans Sefer Hamaspik p.171 dans l’édition de poche que je possède) :
les promesses de récompenses dans le ‘houmash sont sur des choses matérielles pour encourager l’homme et lui permettre d’accomplir les mitsvot (un pauvre aura du mal à toutes les accomplir, pareil si l’on est en guerre…).
Mais il ne s’agît pas de l’essentiel de la rétribution qui n’est pas mentionné afin d’éviter que l’on accomplisse les mitsvot de manière « non lishma » et « al menat lekabel prass » (en espérant la récompense).

2) Ibn Ezra (Dvarim XXXII, 39) :
La torah est donnée à tous et même 1 sur 1000 ne comprend pas la nature d’une récompense spirituelle.
C’est aussi ce qu’écrit Rabbi Avraham ben Harambam dans Sefer Hamaspik (p.169).

3) Rabeinou Be’hayei (cité par le Ibn Ezra –tel qu’indiqué par le Kli Yakar. Mais en regardant le Ibn Ezra on voit cela au nom de Rabeinou Hay –c’est Rav Hay Gaon. L’erreur n’est pas duKli Yakar lui-même, mais figure déjà dans le Abrabanel) et c’est aussi l’opinion du Ramban (le Abrabanel indique le Ramban en fin de A’harei Mot, XVIII, 29 et dans Ekev. Pour ma part, je l’ai vu au début de VaéraShemot VI, 2. Et voir aussi Vayikra XVIII, 29) :
Toutes les promesses de récompenses sont « miraculeuses », comme le fait que les pluies tombent si on respecte les mitsvot etc. Mais que l’âme retourne à l’endroit duquel elle vient, n’est aucunement « miraculeux » et puisqu’on trouve la notion de Karet pour l’âme pécheresse, on en déduit que les autres retournent à leur source.
(NB : cela n’indique pas encore une notion de Taanoug…)

4) Ran (Drashot 1) et Kouzari (I, §104-106) :
Puisque les peuples ne reconnaissaient pas la Hashga’ha (et donc rétribution), D.ieu a annoncé des récompenses matérielles pour que l’on puisse les constater dans ce monde.

5) Rav Saadia Gaon (Emounot Vedeot) et Moré Nevoukhim (III, §) :
Avant le don de la Torah, ils étaient idolâtres et servaient les idoles dans l’espoir de récompenses matérielles (pluies, récoltes…), voilà pourquoi D.ieu promet les mêmes choses à ceux qui respecteront la Torah.

6) Kouzari (fin de maamar 1) et Ran (Drashot III) :
La promesse d’une récompense spirituelle dans le Olam Haba est déductible des versets qui promettent le lien avec la Shkhina dans ce monde (Vehithalakhti betokhekhem, venatati mishkani…), à plus forte raison lorsqu’on ne sera qu’une Neshama détachée de la matière.
(NB : voir ma remarque en fin de 3ème réponse.)

7) Ramban (Ekev XI, 13 –bekhol levavkhem) (le Abrabanel ajoute que le sefer Haïkarim cite cette réponse « shélo beshem omra ») :
Les promesses matérielles dans la Torah ne concerne que « le peuple », D.ieu ne fera pas des « miracles » (la pluie etc.) pour une seule personne qui se comporte bien. Par contre, pour la rétribution dans l’au-delà, chacun a un compte précis à part.
(NB : intéressant, mais cela ne répond pas vraiment à la question.)

Comme ça ne suffit pas, j’ajoute une 8ème réponse, personnelle, mais je la sais partagée par beaucoup de monde :
Le Olam Haba n’est pas cité dans la Torah car il n’est pas essentiel dans la Avodat Hashem (de « penser » au fait qu’il y ait le Olam Haba en fin de vie…, pas d’y « croire », car c’est un des Ikarim) car il ne faut pas que les gens fassent les mitsvot dans l’espoir de la récompense, sans quoi, la mitsva ne nous rapproche pas tellement de D.ieu. (ça ressemble un peu à la réponse du Rambam.)

Car le but des Mitsvot est de se parfaire les Midot et les Déot, pas de parfaire des mondes supérieurs ni de les arranger, ni non plus d‘arriver au Olam Haba pour se délecter. Au point que le Rav Ye’hezkel Lewinstein dise (Or Ye’hezkel –Darkei Haavoda- p.251) au nom d’un des Gdolim qui le lui aurait dit, que même si Hashem promettait une punition à ceux qui accompliraient les mitsvot, il faudrait malgré tout les accomplir ! (car elles sont bonnes en elles-mêmes.)
Le Rav Lewinstein semblait ignorer que la source dudit Gadol est probablement Rabeinou Avraham ben Harambam, qui l’écrit clairement dans Sefer Hamaspik (éd. de poche, p.20).

Bref, ça rejoint un peu ce que vous disiez, si le Olam Haba n’est pas mentionné explicitement et clairement dans la Torah, c’est qu’il ne doit pas se trouver présent dans notre esprit lors de l’accomplissement des mitsvot, car le but des mitsvot n’est PAS d’accéder au Olam Haba.
Cela n’en est pas moins un des Ikarim (la rétribution -même selon le Albo qui les réduit à trois), mais il ne convient pas d’accomplir les mitsvot dans l’espoir de recevoir cette récompense car cela fausse le but des mitsvot.

Il en va de même pour le Mashia’h, cela a beau être un des Ikarim du Rambam, mais il est faux de penser qu’il faille accomplir les mitsvot « afin de faire venir le Mashia’h ». Malheureusement, c’est souvent le message délivré aux enfants dans les écoles [juives françaises du XXIème siècle], c’est faux.  Le but des mitsvot n’est pas de faire venir le Messie. Il faut accomplir les Mitsvot Lishman = pour elles-mêmes ; pour ce qu’elles sont, pour ce qu’elles valent.

On fait les mitsvot parce qu’elles sont bonnes et pour le bien, dans l’espoir d’en tirer ce que la mitsva est supposée nous amener, à savoir , une perfection de notre être, de nos Midot et de nos Déot, (voilà pourquoi les rabanim cités plus haut disaient qu’il faudrait faire les mitsvot même si D.ieu nous promettait une punition pour cela).