Lorsqu’on opère un rapide tour d’horizon sur l’histoire du peuple juif, on remarque que les miracles ne manquent pas. Dans les circonstances les plus diverses et variées, D.ieu Se manifesta aux hommes en modifiant les lois de la nature, à chaque fois de manière plus ou moins prodigieuse.


Ceci étant, il convient de comprendre quelle est la particularité du miracle de ‘Hanouka. Comme nos Sages l’enseignent dans le Talmud, cette fête fut essentiellement établie à l’égard de la fiole d’huile : « Qu’est-ce que ‘Hanouka ? Il a été enseigné : (…) Au moment où les Grecs pénétrèrent dans le Sanctuaire, ils rendirent impures toutes les fioles d’huile du Temple. Lorsque la maison de ‘Hachmonaï reprit le pouvoir et les vainquit, ils fouillèrent le Temple et n’y trouvèrent qu’une seule fiole d’huile, sur laquelle était apposé le sceau du Cohen Gadol. L’huile contenue dans cette fiole ne permettait d’allumer le Candélabre qu’un seul jour, mais un miracle eut lieu et on put l’allumer pendant huit jours. L’année suivante, ils désignèrent cette période comme des jours de fête, pour louer et rendre grâce à D.ieu » (Chabbat 21/b).

De prime abord, ce miracle semble bien « ordinaire » en comparaison à d’autres. D’autant plus que dans le Talmud, on trouve un récit étrangement similaire : « Une veille de Chababt, Rabbi ‘Hanina ben Dossa vit que sa fille était peinée. Il lui dit : ‘Ma fille, pourquoi es-tu triste ?’ Elle répondit : ‘J’ai confondu le pot d’huile avec celui de vinaigre, et j’en ai versé dans les lampions de Chabbat.’ Rabbi ‘Hanina lui répondit : ‘Ma fille, que t’importe ? Celui Qui a dit à l’huile de brûler, dira au vinaigre de brûler !’ Il fut rapporté par la suite que ces lampions brûlèrent pendant tout le Chabbat, et ils servirent également de lumière pour la Havdala » (Taanit 25/a).

Certes, le mérite de Rabbi ‘Hanina ben Dossa était immense, et les miracles étaient chez lui monnaie courante (comme on le voit des autres récits que rapporte le Talmud à cet endroit). Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue la juste perspective des choses : le même miracle que nous célébrons chaque année à ‘Hanouka, depuis plusieurs millénaires, eut lieu chez ce maître comme s’il s’agissait d’un fait ordinaire ! Alors pourquoi nos Sages accordèrent-ils tant d’importance à la petite fiole du Sanctuaire, au point de consacrer une semaine entière de fête à ce miracle ?

Des aromates, du baume et du lotus
Lorsqu’il posait cette question, rav ‘Haïm Shmulevitz (rapporté dans Oraïta sur ‘Hanouka) avait coutume de citer d’autres exemples de miracles dont la nécessité est à priori discutables, et qui exigèrent pourtant une intervention divine certaine. Ainsi par exemple, dans la paracha de cette semaine, nous apprenons que Yossef fut amené en Egypte par « une caravane d’Ismaélites venant de Guilad, et dont les chameaux étaient chargés d’aromates, de baume et de lotus. » Les Sages disent à ce sujet : « Rabbi Aba bar Kahana demande : Pourtant, les Ismaélites n’ont pour habitude de transporter que des peaux et du goudron ! Ceci te montre ce que l’Eternel fit en faveur de ce Juste [Yossef] à ce moment : Il fit mettre dans cette caravane des sacs remplis d’aromates, pour qu’il ne soit pas incommodé par l’odeur » (Béréchit Rabba paracha 84).

Voilà encore des circonstances fort étranges. Yossef connaît des épreuves extrêmement rudes : vendu par ses propres frères, il passe d’une heure à l’autre de prince respecté à esclave servile, envoyé dans la cruelle Egypte d’où nul ne s’est jamais évadé. Est-ce qu’à cet instant, son souci premier était de connaître la nature des odeurs qui l’accompagneraient jusqu’à sa future vie de misère ? Et réciproquement, de bonnes senteurs étaient-elles réellement susceptibles de lui remonter le moral, en sachant ce que lui réservait son avenir ?

Mais en y réfléchissant, explique rav ‘Haïm Shmulevitz, nous verrons que ces aromates étaient là dans un but de la plus haute importance. Comme nous l’avons dit, Yossef connut alors un tournant tragique dans sa vie s: éloigné de son père, vendu par ses propres frères, conduit comme esclave en Egypte, il avait toutes les bonnes raisons de sombrer dans le désespoir. Et s’il s’était laissé aller à ce sentiment, il y avait fort à craindre qu’il en vienne à croire que D.ieu lui avait tourné le dos, et refusait dorénavant de l’épauler dans ses épreuves. De là, la voie de l’effondrement moral était tout ouverte, un effondrement dont il risquait de ne jamais se relever.

Pour éviter à tout prix qu’il tombe si bas, il était impératif de lui prouver, par des signes subtils mais incontestables, que le Créateur continuait de veiller sur lui. Voilà pourquoi la Providence divine fit en sorte d’adoucir la rigueur de son voyage avec des aromates. Non que ceux-ci fussent d’une importance capitale, mais ils étaient un moyen de faire savoir à Yossef qu’il n’avait pas été abandonné à son sort, et que D.ieu était encore là avec lui dans l’épreuve.
David et Goliath

Un exemple similaire se retrouve lors du célèbre combat qui opposa David au géant Goliath : « Voyant le Philistin se mettre en mouvement et s’avancer à sa rencontre, David s’élança, traversa rapidement le champ de bataille en direction du Philistin. Il mit la main dans sa panetière, il en tira une pierre qu’il lança avec la fronde et atteignit le Philistin au front. La pierre s’y enfonça et il tomba la face contre terre. (…) Puis il fondit sur le Philistin, il lui prit son épée qu’il tira du fourreau et le tua en lui tranchant la tête » (Chmouel I 17, 48-51).

Le fait que Goliath tombe précisément « face contre terre » interpella nos Sages : « Etant donné que la pierre l’atteignit au front, il aurait dû tomber à la renverse ! Ce miracle eut lieu pour éviter à David de se fatiguer de marcher jusqu’à la tête du géant pour la lui couper. [En le faisant tomber face contre terre], David s’épargna douze coudées et deux doigts » (Rachi au nom du Midrach Téhilim). Là encore, D.ieu modifia les lois de la nature pour un intérêt somme toute minime : épargner à David de marcher tout au plus une dizaine de mètres !

Selon rav ‘Haïm Shmulevitz, le sens de ce miracle apparaîtra à l’aide de la parabole suivante : dans une famille, un bijou de très grande valeur se transmettait de père en fils depuis plusieurs générations. Mais un jour, le précieux bijou disparut. Tous les membres de la famille en éprouvèrent une grande peine, et l’on se mit activement à sa recherche. Après de longues heures, c’est finalement l’un des enfants qui le retrouva dans un coin de la maison. Soulagé, le père prit son fils et l’embrassa affectueusement au front. La famille entière se félicita et se réjouit de cet heureux dénouement. Mais l’enfant ayant découvert le bijou éprouva quant à lui une joie double : non seulement le joyau avait été retrouvé, mais en plus, son père l’avait embrassé…

De même pour la victoire de David sur Goliath : certes, la mort du géant philistin constitua une grande sanctification du Nom divin. Depuis quarante jours déjà, Goliath ne cessait de défier le peuple juif, ne manquant pas à chaque fois de parler de manière abjecte sur D.ieu et Sa Torah. Sa mort fut donc une source de joie et de soulagement pour l’ensemble du peuple. Mais David, quant à lui, eut une seconde raison de se réjouir : en voyant Goliath tomber sur sa face et non à la renverse, il comprit qu’un « baiser » lui était adressé personnellement par D.ieu. Peu importe qu’il dût franchir ces dix mètres ou non, le miracle était essentiellement destiné à lui faire savoir qu’il était privilégié aux yeux du Créateur.

Tel est également le principe du miracle de la fiole d’huile à ‘Hanouka : sa nécessité et son prodige étaient certes minimes en comparaison de la victoire militaire que connurent les ‘Hachmonaïm. Des miracles de ce genre – et d’autres plus impressionnants – se reproduisirent au cours des siècles sans que cela justifie une célébration quelconque.

Mais la particularité de ‘Hanouka est que, parallèlement à la victoire armée, D.ieu révéla aux Juifs combien Il était proche d’eux. A l’instar de Yossef, ce petit miracle leur rappela qu’en dépit de l’obscurité dans laquelle le Royaume grec avait plongé l’humanité entière, le Créateur restait aux côtés de Son peuple. Et comme chez David, ces lumières qui brillèrent de manière miraculeuse furent, à l’issue d’une période de sévices et de persécutions, comme un « baiser divin » marquant toute la tendresse de D.ieu à notre égard.

Par Yonathan Bendennnoune, en partenariat avec Hamodia.fr