Ce que la tradition juive appelle la haine gratuite (En hébreu : שנאת חינם, Sinath hinnom) désigne l’une des causes de la destruction du deuxième Temple. Cette forme de haine est illustrée par l’anecdote suivante, racontée dans le Talmud :

Un homme avait un ami, Kamtsa , et un ennemi, qui portait le nom de Bar Kamtsa . Il chargea un jour son serviteur d’inviter Kamtsa à un banquet qu’il donnait en l’honneur des Sages. Mais l’homme se trompa et invita à sa place Bar Kamtsa .

Lorsque le maître des lieux aperçut que Bar Kamtsa était présent, il l’interpella brutalement et lui intima l’ordre de quitter les lieux .

Bar Kamtsa lui répondit : « Etant donné que tu m’as invité, permets-moi de rester, et je te rembourserai la valeur de ce que j’aurai mangé et bu.

– Non, dit l’autre ! Je veux que sortes de chez moi .

– Je te rembourserai la moitié du prix total du banquet .

– Non, pas question .

– Je te rembourserai le prix total du banquet .

– Non, sors ! »

Le maître des lieux agrippa alors Bar Kamtsa et le jeta dehors .

Celui-ci se dit alors : Etant donné que les Sages qui ont assisté à mon éviction n’ont pas réagi au comportement de leur hôte, cela veut dire qu’ils l’ont approuvée. Je vais aller les dénoncer en haut lieu .

Il se rendit chez César et lui annonça :

« Les Juifs se sont rebellés contre toi .

– Qui a dit cela ?

– Envoie-leur un animal pour qu’ils l’offrent en sacrifice dans leur Temple, et vois ce qu’ils en feront ! »

César chargea Bar Kamtsa d’offrir en son nom un veau en sacrifice, mais celui-ci causa à l’animal un défaut physique le rendant inapte à être présenté sur l’autel .

Le refus qui s’ensuivit de la part des prêtres fut le point de départ de la crise qui précipita la Judée vers sa perte et le Temple vers sa destruction (Voir Yoma 9b et Guitin 55b-56a) .

On peut constater à la lecture de ce récit que les valeurs morales qui caractérisaient la Judée dans les années qui ont précédé la destruction du Temple étaient relâchées, non seulement dans la population, mais aussi ? et peut-être surtout ? parmi ses élites

Ce récit dramatique soulève de nombreuses questions, et notamment celle de savoir la raison pour laquelle il ne cite pas le nom du maître de maison autour duquel s’étaient réunis de nombreux invités, et notamment des Sages de renom. C’est pourtant cet homme-là qui était à l’origine de l’enchaînement qui a mené à la catastrophe finale !

Peut-être, comme le suggère Aish HaTorah , la raison de ce silence tient-elle à ce que la Guemara a voulu nous faire comprendre que nous portons tous la responsabilité de la catastrophe. Il est possible que l’histoire de Kamtsa et de Bar Kamtsa ne soit qu’une parabole, mais une parabole qui nous interpelle tous, en tous lieux et en tous les temps. Cette haine gratuite, qui forme la substance de ce récit talmudique, ne fait-elle pas ses ravages en tous lieux et en tous les temps elle aussi ?

Jacques KOHN.zal