Ces dernières générations, beaucoup éprouvent le besoin d’établir un pont entre les progrès du savoir et les préceptes de la Torah.

Pour eux, donner aux mitsvot une signification concordant avec les normes de la société moderne, attribuer aux commandements de la Torah une connotation « éthique » ou « sanitaire » relèvent d’un nécessité essentielle leur permettant de rester fidèle à ses lois. Malheureusement, cette approche rationaliste – voire positiviste – ne coïncide absolument pas avec les vues du judaïsme traditionnel. Selon rav Chimchon Raphaël Hirsch, le chapitre de l’homme frappé de tsaraat est justement là pour le prouver.

Isolement par risque de contagion ?

De fait, les apparences sont en effet assez trompeuses : en voyant comment la Torah prescrit de « séquestrer », puis de « tenir isolé » à l’extérieur du campement l’homme frappé de tsaraat, on ne peut s’empêcher de voir là une sorte de mise en quarantaine. En effet, comment mieux comprendre cette mise au ban de la société – observée de tout temps avec les véritables lépreux – que comme une prévention face aux risques de contagion ? Et de là, le pas à franchir pour assimiler la tsaraat à l’une des formes que put avoir le bacille de Hansen – la lèpre d’aujourd’hui – à l’époque biblique n’est pas bien grand : l’histoire a bien prouvé – et persiste encore à prouver jusqu’à nos jours – comment l’homme réagissait de manière féroce face aux lépreux, n’hésitant pas à les écarter totalement de la société et à les isoler dans des léproseries, de crainte que leur mal ne contamine leur entourage. Il peut donc sembler raisonnable d’avancer que cette attitude fut précisément celle prescrite par la Torah. Mais au travers de quelques lois précises, nous allons nous apercevoir combien cette approche est rigoureusement erronée.

Les lois de la tsaraat

Premier signe à noter : la lèpre véritable est elle-même mentionnée dans la Torah ; c’est elle qui frappa les égyptiens lors de la sixième plaie, elle est cette terrible maladie dont la Torah dit, dans les malédictions, que « l’on ne pourra jamais en guérir » (Dévarim 28, 27), et enfin, elle s’avère être totalement dénuée d’impureté ! En effet, l’une des conditions essentielles au « hesger » d’un homme métsora – c’est-à-dire son ultime déclaration d’impureté – est que sa plaie a commencé à montrer des signes de guérison (voir ch. 13 verset 18). Tant et si bien que si la lèpre devait avoir recouvert l’ensemble du corps au point de n’y laisser aucune trace de peau saine, le sujet sera déclaré pur ! (ibid. 13). Alors que dans le chapitre des malédictions, la plus terrible maladie qui frappera l’homme est précisément celle « qui te gagnera depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête »… Par ailleurs, lorsqu’une tache suspecte est repérée sur un mur, la Torah prescrit que « l’on vide la maison avant que le Cohen n’y entre pour examiner la plaie, de peur que tout ce qui se trouve dans la maison ne soit déclaré impur », (14, 36). Représentons-nous la scène : une maison est soupçonnée d’être infectée par la terrible maladie, et l’on nous demande justement d’en sortir tous les meubles, affaires et vêtements – sans chercher à savoir si eux-mêmes ont été contaminés – pour éviter une perte financière au propriétaire des lieux ! Enfin, de nombreuses autres règles montrent bien à quel point ces lois ne visent nullement à éviter les risques de contamination. Ainsi, pendant toute la période des fêtes de pèlerinage, lorsque le peuple juif entier se rassemblait à Jérusalem, on s’abstenait d’examiner les plaies de tsaraat. Or n’aurait-il pas été au contraire plus logique de faire preuve d’une plus grande rigueur en ces périodes de rassemblement, pour éviter que la nation entière ne vienne à être contaminée par le fléau ? Bien plus, les Sages nous enseignent que si l’on avait l’assurance que l’une des deux plaies que présente un homme est impure, mais que l’on ne saurait déterminer laquelle d’entre elles l’est, le sujet serait déclaré pur ! Et ce, bien qu’il ne fasse aucun doute que cet homme ait bel et bien contracté cette « maladie ». Enfin, conclut rav Chimchon Raphaël Hirsch, on nous apprend aussi que la tsaraat ne concerne que les habitants juifs d’Eretz-Israël. En revanche, un non-Juif qui se présenterait avec tous les symptômes décrits par la Torah serait déclaré pur, et l’on ne chercherait pas même à surveiller l’évolution du mal ! Toutes ces considérations – parmi de nombreuses autres – nous amènent à une conclusion évidente : la paracha de Tazria ne traite absolument pas de soins médicaux ni même de prévention face aux risques d’épidémie. Et contrairement à ce que certains voudraient bien croire, les Cohanim n’occupaient nullement les fonctions de « police sanitaire » au sein du peuple hébreu…

Un Rapport du College of Physicians

En vérité, l’absence de toute connotation sanitaire ou thérapeutique dans les lois de tsaraat a toujours fait l’unanimité chez le peuple juif. L’ambiguïté, semble-t-il, est issue au contraire de la confusion qui a longtemps régné sur la nature de la lèpre contemporaine, qui frappe jusqu’à ce jour environ 250 000 personnes dans le monde. En effet, dans la suite de son développement, rav Chimchon Raphaël Hirsch cite un Rapport sur la lèpre du Royal College of Physicians commandé par le gouvernement anglais en raison de l’expansion effroyable que connut la lèpre vers la fin de ce XIXe siècle dans de nombreuses colonies britanniques. Ce texte, dont voici un court extrait, montre assez clairement les marques de cette confusion : « La question dominante que se pose actuellement le Royaume d’Angleterre est la suivante : cette maladie est-elle contagieuse ou non ? Aucun doute ne persiste sur le fait que les Juifs ont toujours considéré cette maladie comme contagieuse, puisqu’un strict isolement était imposé à quiconque la contractait. Mais d’autre part, il semble exact d’affirmer qu’aux yeux du judaïsme, toutes les maladies de peau sont assimilées à celle de la lèpre. [Visiblement parce que des différences notables distinguent les symptômes de la lèpre moderne de la tsaraat biblique] ; par conséquent, toutes les personnes frappées par une maladie de peau s’étant déclarée dans la Nouvelle Europe – telle que la rougeole, la scarlatine ou la variole – devraient être concernées par l’isolement imposé aux lépreux. Néanmoins, il est un fait qui mérite une attention particulière : il semblerait que les Juifs contemporains soient moins sujets à contracter des maladies contagieuses que leurs voisins européens. Peut-être est-ce là le résultat de leurs pratiques traditionnelles, dont le pouvoir influa considérablement sur la constitution des Juifs d’alors. Mais en dépit de ces considérations, tous nos agents – dispersés aux quatre coins du globe – témoignent quasiment à l’unanimité : la lèpre n’est pas une maladie contagieuse ! ». Il semblerait donc bien que ce soit une lecture biblique fort profane – telle que la faisaient les nations du monde – qui amena à associer les deux formes de lèpre. En conséquence de quoi on fut amené à isoler toute personne frappée du bacille de Hansen, exactement comme le prescrit le verset avec les hommes atteints de tsaraat. Et il fallut attendre ces derniers siècles pour que l’homme comprenne enfin que ce terrible fléau n’était contagieux que dans une très faible mesure. Et par conséquent, il est plus que jamais exclu de penser que l’isolement du métsora était motivé par des risques de contagion, attendu que ceux-ci n’existent absolument pas…

YONATHAN BENDENNOUNE

Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française