Dans l’esprit de la Torah, une personne qui a fauté et qui est punie en conséquence, ne mérite pas pour autant d’être écartée de ses droits et privilèges sociaux. Même au moment où la sanction la frappe – ou plutôt… précisément à cet instant ! -, il convient de se souvenir de ses mérites et en aucun cas l’exclure. C’est notamment ce message que véhicule l’histoire de Myriam la prophétesse.

À la fin de la paracha Béhaalote’ha, la Torah mentionne les tristes circonstances qui amenèrent Myriam, la sœur de Moché et d’Aharon, à être punie. Le verset énonce : « Myriam et Aharon médirent sur Moché, à cause de la femme Couchite qu’il avait épousée » (Bamidbar, 12, 1). Sans davantage de précision, la Torah nous apprend simplement là que Myriam prononça des propos qu’elle n’aurait pas dû tenir.
C’est alors que, sans prévenir, la punition s’abattit soudainement sur elle avec une implacable rigueur. En conséquence, Myriam fut placée « en quarantaine » à l’extérieur du campement d’Israël pendant sept jours.
Or, ces circonstances furent si tragiques que la Torah met en garde à leur sujet toutes les générations futures : « Souviens-toi de ce que l’Éternel ton D.ieu a fait à Myriam » (Dévarim, 24, 9). Le fait que la punition frappe Myriam la prophétesse de manière si brutale, et surtout le fait que nous soyons tenus de nous souvenir de cet incident, montrent la gravité avec laquelle la Torah considère tous les écarts de langage !
Mais ceci ne constitue qu’une facette de cet épisode puisqu’en contrepartie, nous apprenons que « le peuple ne partit que lorsque Myriam fut réintégrée » (ibid. 15). Par hommage pour cette grande femme, les centaines de milliers de membres du peuple juif interrompirent donc leurs pérégrinations et attendirent patiemment que la faute de Myriam soit expiée pour qu’elle puisse réintégrer leurs rangs.
Cet honneur exceptionnel fut, en quelque sorte, une manière de montrer à la prophétesse que le peuple entier partageait sa douleur. Ce que précise d’ailleurs Rachi : « Cet hommage fut accordé à Myriam par le Créateur en récompense de cette heure qu’elle avait passée à attendre Moché, lorsqu’il avait été jeté dans le Nil, comme il est dit : ‘ Sa sœur se tint à distance ’ ».
En d’autres termes, à l’instant même où Myriam était frappée par la plus grave punition qui soit – attendu que le lépreux est considéré comme « mort » -, elle fut gratifiée, pendant une semaine entière, d’un honneur digne des plus importants personnages !
Valeur et Jugement
Pour nous, le message de cet enseignement est bien clair : même au moment où l’on inflige une punition à un homme, rien ne justifie que ses mérites antérieurs soient pour autant effacés (sans parler de celui sur qui ne pèsent que de simples soupçons). Et que l’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit nullement d’une quelconque forme de complaisance ! Au contraire, c’est la plus stricte justice qui impose là que l’on juge l’homme d’après ses véritables valeurs, et non à l’aune d’un simple événement ponctuel.
Ce principe apparaît dans un sombre épisode relaté par le prophète Samuel (II, 21, 1) : « Il y eut une famine du temps de David, durant trois années consécutives. David consulta l’Éternel, Qui répondit : ‘ C’est à cause de Chaoul et de cette maison de sang, parce qu’il a fait périr les Guivonim ’ ».
Dans cette prophétie, nos Sages décèlent l’allusion à deux fautes qui furent à l’origine de cette famine. La première est : « À cause de Chaoul » – à savoir qu’après le décès de ce grand roi, le peuple ne l’avait pas suffisamment pleuré et avait prononcé trop peu d’oraisons funèbres en son honneur. La deuxième faute est celle de « cette maison de sang » : selon nos Sages, cette mention est une allusion à Nov, la ville des Cohanim que le roi Chaoul avait décimée. Et avec cette ville, le peuple des Guivonim disparut également parce qu’il tirait toute sa subsistance en approvisionnant les Cohanim en bois et en eau.
Sans rentrer dans les détails de ces épisodes, il faut remarquer ici l’aspect paradoxal de ces situations : au moment même où le Saint Béni soit-Il rappelle le terrible meurtre perpétré par le roi Chaoul, Il évoque également le manque d’égards qui lui fut manifesté pendant son enterrement. N’est-ce pas là quelque chose de contradictoire ? La réponse est que, justement, au moment où un homme subit les conséquences de ses fautes, il convient de rappeler aussi les belles actions de sa vie !
Comme allusion à ce principe, en évoquant le verset « Recherchez l’Éternel, humbles du pays, car à l’endroit de Sa justice, se trouve Ses actions » (Tséfania, 2, 3), les Sages disent qu’il peut également s’interpréter ainsi : « Là où le jugement de l’homme est prononcé, ses belles œuvres sont évoquées ».
Offrir toujours le « bénéfice du doute » !
Si telle est l’optique de la Torah concernant un homme puni pour des fautes commises, combien devons-nous prendre garde de ne pas juger autrui sur la simple foi d’un acte isolé ! Car même s’il est avéré qu’il a mal agi, on ne peut tirer pour autant aucune conclusion d’un fait ponctuel sur sa valeur intrinsèque.
C’est en ce sens que nos Sages nous mettent en garde : « Juge tout homme de façon positive » (Pirké Avot, 1, 6). Selon le Sfat Emet, on trouve justement dans les mots de cette michna une allusion directe à cette règle. Il y est en effet dit littéralement : « Juge tout l’homme » – et non « tout homme » comme l’aurait voulu la logique -, ce qui réclame quelques explications. Car aux yeux du Sfat Emet, cette singularité de langage signifie que même lorsqu’il est avéré qu’un homme a fauté, il faut néanmoins juger « l’homme en entier », dans son intégrité. Et c’est en portant sur lui un regard global et bienveillant plutôt que ponctuel et accusateur, que l’on saura apprécier cette personne à sa juste valeur.
Ici, comme dans tous leurs enseignements, les Sages nous transmettent des messages de vie pouvant nous guider sur le « chemin du Roi ». Et c’est justement en faisant nôtre la conduite du Créateur à l’égard de Myriam, que l’on pourra rester à tout moment juste et droit envers notre prochain.
Par Yonathan Bendennnoune