Étant donné les nombreux problèmes halakhiques que pose le prélèvement d’organes, il convient de s’inscrire sur le « fichier national du refus », estime le grand rabbin de Paris.

Actualité Juive: En matière de dons d’organes, quel est le principe halakhique qui l’emporte : celui du respect dû à l’intégrité des corps des défunts ou celui du Pikou’ah Nefech, l’obligation de sauver des vies ?

Grand rabbin Michel Gugenheim : Il faut distinguer trois types de situation dans lesquelles les problématiques halakhiques ne sont pas les mêmes. Le premier est celui d’un donneur vivant qui effectuerait un don d’organe à un proche compatible : s’il ne met pas en danger sa propre vie, il accomplit alors une grande mitzva, celle de lui sauver la vie. Le second concerne le prélèvement d’organes après décès. Si tirer profit d’un défunt et ne pas l’enterrer tombe sous le coup d’un triple interdit, celui-ci peut être repoussé par l’application de la règle selon laquelle préserver une vie humaine repousse tous les interdits de la Torah (à l’exception des 3 péchés capitaux). Ainsi, si le prélèvement et la transplantation sont réalisés en vue de sauver la vie d’une personne en danger, cela est autorisé à condition toutefois que le receveur ait déjà été identifié et que l’organe prélevé ne soit donc pas conservé dans une banque pour une utilisation ultérieure.

La troisième situation qui représente le cas de transplantation le plus courant et le plus problématique d’un point de vue halakhique est celui où le donneur est « en train de mourir », c’est-à-dire qu’il est en état de mort cérébrale alors que son cœur bat encore. Il existe à ce sujet un débat dans le judaïsme pour savoir comment définir l’état de mort cérébrale. Si l’on considère que tant que le cœur bat, le sujet est vivant, le médecin qui procèderait au prélèvement d’un organe sur cette personne mourante mais pas encore morte, commettrait un véritable homicide. Dans ce cas, le principe halakhique selon lequel « on ne repousse pas une vie au bénéfice d’une autre vie » l’emporte et le prélèvement est donc interdit.

A.J.: Cette interdiction signifie donc que les prélèvements de foie et de cœur posent problème…

G.R.M.G : Absolument, étant donné que l’on ne peut pas prélever un cœur qui a cessé de battre, ni un foie qui n’est plus irrigué. Pour autant, le grand rabbinat d’Israël avait, à la fin des années quatre-vingt, donné l’autorisation de ces transplantations, ce qui avait provoqué une vive contestation de la part des plus grands décisionnaires de la Thora. En ce qui nous concerne, nous devons appliquer la règle du doute juridique d’autant que l’enjeu de ce débat est de savoir où se situe la frontière entre la vie et la mort. Je précise toutefois que cette réserve concerne le médecin qui procède au prélèvement et non le receveur de l’organe. Dès lors que la transplantation est effectuée, autant qu’elle permette de sauver une vie.

A.J.: A partir de 2017, le don d’organes post-mortem sera automatique, à moins d’avoir clairement exprimé son refus de son vivant (via un formulaire à remplir sur Internet). Quelle attitude préconisez-vous au regard de ces nouvelles dispositions ? 

G.R.M.G. : Lorsqu’en 1984, les premières lois sur le consentement présumé sont sorties en France, le Consistoire a rédigé à l’intention de ses adhérents un document que l’on devait porter sur soi et stipulant le refus d’autopsie et de prélèvement d’organes.

Aujourd’hui, étant donné les réserves halakhiques que je viens d’exposer, il importe de s’opposer fermement au prélèvement d’organes et j’appelle nos coreligionnaires à s’inscrire sur le fichier national du refus.

Par Laëtitia Enriquez pour Actualité Juive