» Ce fut, lorsque Pharaon eut renvoyé le peuple [juif], Dieu ne les conduisit pas par le chemin du pays des Philistins qui était proche, car Dieu dit : « De peur que le peuple ne se ravise lorsqu’ils verront la guerre et qu’ils ne retournent en Egypte.  » (13, 17)

Lorsque les enfants d’Israël se sont préparés à quitter l’Egypte, indiquent nos Sages, ils en ont d’abord demandé la permission à Pharaon.

Moché lui a dit : « Nous ne partirons pas aussi longtemps que tu ne nous auras pas déclaré explicitement que nous sommes dégagés de tout lien, et que nous sommes des hommes libres. »

Pourquoi avaient-ils besoin de cette autorisation du souverain, alors qu’ils sont partis contre son gré, et que son acquiescement a été donné sous la contrainte ?

Le Parachath Derakhim répond comme suit : Nos Sages enseignent que les enfants d’Israël avaient droit aux trésors de l’Egypte comme gratification d’adieu offert à un esclave émancipé, ou comme indemnité de licenciement. Sur la prescription d’offrir des cadeaux à un esclave affranchi (Devarim 15, 14), le Sifri précise : « De même que Je vous ai offert des cadeaux en Egypte ? comme il est écrit (12, 36) : « Et ils dépouillèrent l’Egypte » ? de même devez-vous lui offrir des gratifications d’adieu. »

Voilà pourquoi les enfants d’Israël étaient tenus de requérir la permission de Pharaon. Légalement, en effet, un esclave qui prend la fuite n’a pas droit à ces cadeaux d’adieu. Il leur fallait donc impérativement ce consentement pour prétendre à des droits sur les biens des Egyptiens.

Dieu fit faire un détour au peuple par le chemin du désert de la mer des Joncs, et les enfants d’Israël montèrent équipés du pays d’Egypte. (13, 18)

Ce mot « équipés » signifie, selon Rachi : entièrement armés. Dans ces conditions, pourquoi Hachem n’a-t-Il pas fait en sorte qu’ils engagent le combat devant la mer des Joncs contre les Egyptiens ? s’étonne le Hatham Sofèr. Il aurait alors offert une victoire aux enfants d’Israël sans devoir changer le cours naturel en fendant la mer et en la refermant sur Pharaon et son armée !
Il aurait été moralement incorrect, répond ce Maître, que les enfants d’Israël prennent les armes contre leurs hôtes d’antan.

Pour la même raison, Hachem a ordonné (Devarim 23, 8) : « Tu n’abomineras pas l’Egyptien, car tu as été étranger dans son pays », et nos Sages recommandent (Baba Qama 72b) : « Ne jette pas de pierres dans le puits où tu t’es désaltéré ! »

Voilà pourquoi, au lieu de prescrire aux Hébreux de les affronter sur le champ de bataille, Hachem les a fait entrer dans la mer avec les Egyptiens à leurs trousses, où ceux-ci se sont alors noyés tout seuls.

Ainsi, la Tora rapporte que les enfants d’Israël sont sortis entièrement armés pour nous inculquer cette leçon de morale, qui interdit que l’on se retourne contre celui qui nous a jadis accueilli.

Rav Avraham Ibn Ezra se pose la même question sous une forme légèrement différente : Comment se fait-il qu’une masse humaine aussi imposante que le peuple juif à sa naissance ? puisqu’il se comptait par millions ?, ait eu peur à l’idée d’être poursuivie par l’armée égyptienne ? Pourquoi les enfants d’Israël ne se sont-ils pas défendus ?

La réponse est fournie par une étude pénétrante du rapport qui unit le maître à l’esclave. Les Egyptiens avaient asservi les Hébreux pendant des siècles. Ayant grandi sous le joug de l’esclavage, ceux-ci avaient une mentalité d’opprimés. Comment auraient-ils pu, avec un tel état d’esprit, engager le combat contre ceux qui les avaient si longtemps dominés ? Et d’ailleurs, même solidement armés, ils n’avaient aucune formation militaire.

Cette analyse est confirmée par les événements auxquels ils ont pris part dans le désert.

Quand ils ont été agressés par Amaleq, ils auraient succombé si Hachem n’avait pas provoqué un miracle en leur faveur.

Par ailleurs, lorsqu’Il a ordonné que toute la génération qui avait quitté l’Egypte meure dans le désert, c’est parce que la conquête de Canaan ne pouvait pas être menée à bien par cette génération-là, mais seulement par une nouvelle, aux membres pleins d’ardeur, nés et élevés dans le désert.

Rav Yaaqov Neumann propose une autre réponse à la question posée par Ibn Ezra.

Le Saint béni soit-Il n’a pas voulu que les enfants d’Israël fassent la guerre et la gagnent, de peur qu’ils ne s’imprègnent de la conviction de ko’hi we otsèm yadi (littéralement : « la force et la puissance de mon bras [m’ont valu ce succès] »), qu’ils s’imaginent avoir gagné la partie exclusivement grâce à leur propres prouesses militaires.

Cela aurait été manquer de foi en Hachem, « l’Homme de Guerre » (15, 3). Pour parer à une telle éventualité, Il a voulu implanter dans leurs coeurs la certitude que c’est Lui qui combattait en leur faveur.

C’est ce qui s’est produit lors du partage de la mer : Il a lutté contre les Egyptiens, tandis que les enfants d’Israël sont restés sans s’engager dans la bataille.

Tout cela a produit sur eux un effet profond et durable, comme il est écrit (14, 31) : « Le peuple craignit Hachem, ils crurent en Hachem et en Moché Son serviteur. » Et la Mekhilta (sur 15, 2) de souligner qu’une simple servante a vu à la mer Rouge ce que n’ont pas vu Ye’hezqel et les autres prophètes, et que même les tout jeunes enfants ont pointé leurs doigts en disant : « Voici mon Dieu, et je proclamerai Sa louange ! »

C’est ensuite seulement que Hachem a permis aux Hébreux de combattre ?Amaleq. Ayant assisté à ce qui avait eu lieu à la mer, ils ne manqueraient certainement pas de reconnaître Sa puissance, et ils ne s’aventureraient pas à attribuer leurs succès militaires à leur propre culture guerrière.

Rav Baroukh Baer Leibowitz parlait un jour d’une comédie parodique présentée par les éléments « éclairés » de la ville de Brisk.

Le sujet de la pièce était la mobilisation d’une armée juive selon les préceptes de la Tora.
 » Ecoutez-moi bien, vous autres ! commença l’acteur principal. Si l’un de vous a récemment construit une nouvelle maison et ne s’y est pas encore installé, il est dispensé de service. Vous pourriez mourir à la guerre, et un autre homme s’y logerait à votre place. Nous ne le voudrions pas. Rentrez chez vous !  »
De nombreux soldats mobilisés se lèvent, saluent et prennent congé.
« Bien ! Cela nous fait un millier d’hommes de moins. A présent, je voudrais savoir si l’un de vous a planté un nouveau vignoble qu’il n’a pas encore inauguré, poursuivit l’acteur. Il se pourrait qu’il tombe sur le champ de bataille et qu’un autre homme l’inaugure à sa place.

Nous ne le voudrions pas. Que ceux à qui cela s’applique rentrent chez eux ! »
Un autre groupe de recrues se lève et prend congé.
« Cela nous en fait encore deux mille de moins, mais il nous reste encore ici quelques personnes, continua l’acteur. Si l’un de vous vient de se marier, il est exempté ! Qu’il rentre chez lui ! »
Un autre groupe se retire.
« Eh bien, il nous reste encore quelques hommes. Ecoutez l’exemption suivante : Si l’un de vous a commis quelque péché et craint d’aller à la guerre, il sera excusé d’emblée. Qu’il rentre chez lui ! Nous n’en voulons pas ! »
Toutes les recrues restantes se sont levées et sont parties. Deux acteurs demeuraient alors sur scène : ceux qui jouaient le Gaon de Vilna et le Chaagath Aryé. Ils se sont mis à discuter entre eux à qui aurait l’honneur de partir en premier pour accomplir la mitswa de combattre les ennemis des enfants d’Israël.
Cette parodie a déclenché de nombreux rires dans la salle.

Rav Baroukh Baer a conclu : « Quand Rav Hayim Soloveitchik, le Rav de Brisk, a entendu parler de cette comédie, il a souri. « Ces comédiens ont raison ! s’est-il exclamé.
C’est probablement ce qui serait arrivé. Mais ils ont omis un détail essentiel : Ces deux vieillards auraient sans aucun doute gagné la guerre ! » »