On peut lire dans le Midrach : « La Torah fut donnée par l’intermédiaire de trois dimensions : le désert, l’eau et le feu. Le désert, comme il est dit : “ Ils arrivèrent dans le désert du Sinaï ”, (Chémot, 19, 2)

Le feu, sur la base du verset : “ Le mont Sinaï était brumeux parce que D.ieu y était descendu dans le feu ”, (Chémot, 19, 18). L’eau, ainsi qu’il est écrit : “ Les nuages aussi fondirent en eaux ”, (Choftim, 5, 4) » (Midrach Raba, Bamidbar, 1).

Une religion « surnaturelle »

C’est au chapitre 26 de son livre « Tiférèt Israël » que le Maharal de Prague commente le passage précité du Midrach :

« Si la Torah, dit-il, fut donnée par l’entremise de ces trois dimensions, c’est parce dans son essence même, elle s’oppose à la nature humaine. L’homme en effet est fait de matière, tandis que la Torah est absolument métaphysique (sikhlit). En vertu de cette contradiction, elle transcende l’homme et se tient, pour ainsi dire, éloignée de lui. C’est pourquoi elle fut donnée conformément à ces trois réalités qui, en vertu de leur absolue liberté (efkèr), se tiennent elles aussi dans une radicale indépendance vis-à-vis de l’être humain, et en ce sens le transcendent. Et ce, parce que ce rapport paradoxal que l’homme entretient avec la Torah se joue précisément à travers trois dimensions.

Tout d’abord, la récompense et les bienfaits que D.ieu réserve à ceux qui respectent la Torah. Car cette bonté est de nature divine, sans commune mesure avec ces bienfaits naturels plus proches de ce dont l’homme a besoin. Comme le dit la Torah elle-même, elle ne saurait être comparée à aucun des plaisirs qu’il nous est donné de connaître en ce monde ! C’est la raison pour laquelle la Torah fut donnée par l’intermédiaire de l’eau qui est bonne en soi, comme il est dit : « Que mon enseignement se déverse comme la pluie, que mon discours exhale comme la rosée », (Devarim, 32, 2). Ce que nos Sages ont commenté : « De même que la rosée apporte au monde la vie, ainsi en est-il de la Torah », (Sifri, parachat Haazinou). Or, parce qu’elle est la vie même, la Torah dépasse la simple nature.

Ainsi en est-il, inversement, du châtiment qui attend celui qui transgresse la Torah : il est lui aussi métaphysique et se distingue radicalement de toutes les formes de sanctions que nous connaissons. Voilà pourquoi la Torah fut dévoilée par l’entremise du feu. N’est-il pas dit en effet au sujet du châtiment par lequel D.ieu punit ses ennemis : « Car D.ieu est un feu dévorant », (Devarim, 4, 24) ? Troisièmement, si la Torah fut transmise dans le désert, c’est en vertu de son essence même, c’està- dire conformément aux impératifs qu’elle contient et qui contredisent l’idée même de nature.

On ne soutiendra donc pas que les commandements énoncés par la Torah – comme c’est le cas par exemple de l’interdiction des graisses interdites ou du sang – trouvent leur fondement dans une quelconque « loi naturelle », car il n’est en rien ! Au contraire, si la Torah a été donnée dans le désert, c’est précisément parce qu’aucune réalité naturelle ne saurait avoir sa place dans le désert et que, comme nous l’avons expliqué, le désert – n’étant que vide et désolation – contredit l’idée même de développement naturel et de « matière ».

C’est en ce sens que nous devons comprendre pour quelle raison la Torah n’est pas une « religion naturelle » (dat tivi). Ainsi, quand le Midrach nous dévoile que la Torah fut révélée à travers l’eau et le feu, son but est de nous enseigner l’essence absolument imprescriptible de la Torah. Car la dimension métaphysique des peines et des rétributions qui y sont attachées nous révèle précisément que celles-ci ne sauraient appartenir à l’ordre de la nature.

… et asociale !

Il convient par ailleurs de comprendre que ces trois dimensions [à savoir les bienfaits ou les châtiments, et l’imprescriptibilité de la Torah-Ndlr] sont absolument distinctes. Ainsi, bien que toute injonction de la Torah véhicule le bien en soi – comme c’est le cas, par exemple, de celle qui nous commande « Honore ton père et ta mère » -, n’allons pas penser pour autant qu’un tel ordre ne nous oblige pas, comme lorsque quelqu’un a un geste de bienveillance envers un autre sans rien attendre en retour. Puisqu’au contraire, chaque perfection commandée par la Torah implique irrémédiablement une nécessité d’existence (mé’houyav léGamré). Et qu’à ce titre, même si l’interdiction de voler son prochain constitue, sans l’ombre d’un doute, un bien incontestable, elle exprime cependant une absolue nécessité qui ne saurait pas ne pas être.

De plus, conformément à cette troisième dimension qui les caractérise, les injonctions de la Torah relèvent d’une imprescriptibilité métaphysique (Elokiim). Et ce, parce que contrairement à ce qu’en pensent certains, la Torah n’est comparable ni à une religion naturelle (dat tivi), ni à une institution (dat nimousi), ni à une quelconque moralité (derekh erets) dont le but serait de fonder et d’assurer le « lien social ». Elle est au contraire, avec tout ce qu’elle comporte, absolument divine ! Voilà pourquoi c’est elle qui ouvre l’accès au monde qui vient (olam haBa).

C’est parce que la Torah ne saurait être comparée à une loi sociale, qu’elle fut révélée dans le désert

Ainsi, la révélation de la Torah a-telle eu lieu par l’intermédiaire des trois dimensions que constituent l’eau, le feu et le désert. Et comme cela a été enseigné dans le Midrach précité : « l’eau, ainsi qu’il est écrit : “Les nuages aussi fondirent en eaux” », (Choftim, 5, 4). Parce que, de même que les eaux de pluie apportent au monde la bénédiction, la Torah représente le plus grand bien qui soit, ainsi que le souligne le verset : « Que mon enseignement se déverse comme la pluie, que mon discours exhale comme la rosée », (Devarim, 32, 2)… Puisque : « de même que la rosée apporte au monde la vie, ainsi en est-il de la Torah », (Sifri, parachat Haazinou). Par le biais du feu : dans la mesure où, tout comme le feu est caractérisé par son pouvoir, les paroles de la Torah obligent par la force de la plus haute nécessité. Comme il est dit : « Est-ce que Ma parole n’est pas comme le feu, semblable au marteau qui fait voler en éclats le rocher, dit l’Eternel ? », (Jérémie, 23, 29).

Enfin, parce que la Torah est absolument métaphysique et qu’elle ne saurait être comparée à une loi sociale, elle fut justement révélée dans le désert. Le désert étant, dans son essence même, disposé à recevoir la parole divine, le dévoilement de la Torah – et de sa transcendance radicale – ne pouvait survenir que là-bas et non du sein du politique (yichouv) qui, en dernière instance, relève d’une dimension naturelle. Tout cela paraîtra très clair à ceux qui sont versés dans la science authentique ; et l’on comprendra pourquoi ce sont ces trois dimensions, précisément, qui devaient rendre possible le dévoilement de la Torah, dans la mesure où, comme nous l’avons vu, elles expriment chacune à leur manière cette totale liberté (efkèr) qui caractérise l’absolue autonomie de la Torah par rapport à l’homme et au monde

Par YEHUDA RÜCK