Lors de la Séfirat haOmer, la coutume a été prise de compter les jours comme étant des semaines, quand nous disons par exemple : « Aujourd’hui 33 jours, qui sont 4 semaines et 5 jours… ». Or quel est l’apport de ce mode de calcul ? C’est ce que nous nous proposons d’expliquer ici.

Deux types de temporalité
On peut lire en effet sous la plume du Rambam, au Chapitre 7 et à l’article 22 des Lois sur les sacrifices quotidiens (Hilkhot Tmidim ouMoussafim) : « C’est une mitsva positive de compter 7 semaines entières à partir du jour où l’Omer est apporté, comme il est dit : «Vous compterez le lendemain du Chabbat ». Et c’est une mitsva de compter les jours avec les semaines, ainsi qu’il est dit : «Vous compterez 50 jours» ». Tel est aussi l’avis du Rif à la fin du Traité talmudique Pessa’him (page 28), lui-même rapporté en s’appuyant sur l’enseignement du Traité talmudique Ména’hot (page 66/a).

Or, quand nous parlons des « jours », nous nous référons toujours à cette idée qu’une journée constitue une réalité fermée sur elle-même. Au point où chaque jour est toujours considéré comme une nouveauté absolue qui oblige, par exemple, à ce que nous prononcions de nouveau les bénédictions du matin, comme à l’occasion d’une refonte totale de notre propre présence au monde. C’est en effet ce dont nous témoignons quand, tous les matins, nous récitons ce passage où il est dit que D.ieu « Mé’hadech béTouvo béKhol Yom Maassé Béréchit [renouvelle chaque jour pour le bien l’OEuvre de la Création] ». Le jour constitue donc bien ce retour d’un cycle entier de la Création qui débute avec la nuit (comme ce néant par lequel nous nous dépossédons, pour ainsi dire, de notre rapport positif aux choses), avant de renaître dans cette bonté (‘hessed) inscrite au coeur de cette lumière si spécifique à l’aurore. Une renaissance qui oblige à une reconnaissance des bienfaits que D.ieu procure continuellement à Sa création !
Ainsi en est-il des injonctions divines – les mitsvot. Elles nous sont données chaque jour comme au premier jour, ainsi que nous le confirmons lors de la lecture du Kriat Chéma : « Voici les choses que Je t’ordonne aujourd’hui [Acher Anokhi méTsavékha haYom] », les mitsvot n’ayant en soi de nécessité qu’en vertu de la Volonté divine qui les commande et de celle du sujet qui s’y soumet à nouveau. Puisque c’est précisément cette régénérescence de la vie qui oblige chaque fois à l’acceptation du joug divin et donc au renouveau de l’accomplissement des mitsvot ! Si tel n’était pas le cas, nous vivrions une vie ancienne (yachan), c’està- dire une existence qui s’endort (yochen) : une vie morte, sans promesse de résurrection…
Ainsi, bien que nous goûtions, pendant la nuit, à la néantisation de l’existence, nous retrouvons chaque fois au petit matin les bienfaits de D.ieu, comme nous le disons dans le Psaume du Chabbat : « Baboker ‘hasdékha, véemounatekha baLéïlot [A l’aube Tes bienfaits, et Ta confiance dans les nuits] ». Tant et si bien qu’en vertu de notre lien indéfectible et de notre confiance en D.ieu comme Source de vie (Mékor ha’Haïm), nous avons la possibilité de renouveler en nous les forces du vivant. Car c’est Lui qui donne la vie, la reprend et nous la rend !
Cette résurrection que nous vivons chaque matin – ce véritable ‘hidouch du vivant – nous oblige ainsi à une nouvelle « kabalat haTorah » : à recevoir à nouveau le joug des mitsvot, c’est-à-dire à inscrire notre existence sous la Volonté qui la produit. Tel est la nature du cycle incarné par le jour : de l’existence à son néant, puis à sa renaissance…
Le second cycle dont nous avons l’obligation de reconnaître la pertinence lors de la Séfirat haOmer est aussi celui des semaines, c’est-à-dire de ce mouvement qui se forme lors des 7 jours de la semaine et qui comporte en lui un retour à la création du monde. Puisque, après le Chabbat – but final du monde et de la Création -, nous retournons au premier jour, à celui de la résurrection du monde.
La semaine est en ce sens, renouvellement du Chabbat : du point de départ de l’existence de la Création vers l’accomplissement de son but. Et quand nous disons que le monde a une durée d’existence de 6 000 ans, nous désignons par là cette idée du repos harmonieux, cette existence sans acte que résumerait le simple fait d’être : cette temporalité que l’on nomme le Chabbat de la fin des temps. Or, cette existence n’est autre que la plus haute forme de vie, puisqu’il s’agira alors d’« exister l’existence » ! C’est-à-dire de vivre l’essence de l’existence (comme cette joie qui envahit un homme venant d’échapper à la mort).
Pourtant, bien que l’univers soit rythmé par 4 cycles – le jour, la semaine, le mois lunaire (‘Hodech) et l’année solaire -, à la différence des mois, le renouvellement des semaines ne se laisse pas percevoir. C’est pourquoi, dans le respect du Chabbat, nous sommes conviés à ce témoignage semblant contredire l’accumulation fragmentaire des jours lorsque nous affirmons que l’univers répond au dévoilement d’un projet, dont l’aboutissement porte justement le qualificatif de « Chabbat ». Expression du cycle de la Création toute entière, le Chabbat de chaque semaine nous dévoile donc ici-bas la pertinence du Chabbat de l’Histoire du monde. Vivre authentiquement la valeur intrinsèque des semaines devrait donc nous permettre de saisir le sens profond de l’existence qui, bien que revenant sans cesse à son point de départ, est toutefois conduite constamment vers son but ultime.
Le chiffre 7…
Comme nous le disons dans la bénédiction sur la lune, le Saint Béni Soit-Il « Poel Emet chéPéoulato Emet [accomplit la vérité, car Son action est vraie] ». Or, le terme de vérité – Emet – désigne en hébreu le fait qu’une chose est directement attachée à son origine, tandis que le mensonge (chéker) exprime au contraire tout ce qui dévie de cette origine. Ainsi, D.ieu dévoile la vérité et l’accomplit : Il crée les choses de telle manière qu’elles perpétuent leur origine tout en exprimant tout ce qui y fut inscrit, sans aucune déviation ; c’est-à-dire de telle manière qu’elles réalisent le dévoilement authentique de l’origine. Tel est le sens de la semaine : elle confère sa signification ultime aux jours en les inscrivant dans un mouvement qui les dirige vers leur but. Ainsi, le terme « chavoua » (semaine) est de la même racine que le mot chevoua (promesse). Et ce, parce que promettre, c’est confirmer ce qui est vrai, c’est-à-dire ancrer les choses dans ce mouvement qui les conduit de l’origine à leur but, dans leur expression droite et authentique.

En ce sens, les sept jours de la semaine incarnent la promesse que le monde se dirige vers son but ! On retrouve d’ailleurs cette idée au sujet des sept brebis qu’Avraham offrit au roi Avimélekh et dont le verset consigne la réalité dans le nom qu’il donne à la ville de « Beer chava » – littéralement le « Puits de la promesse » – car le 7 exprime toujours l’idée de la vérité. De même, le terme français « satiété » répondil au terme hébreu « savéa » qui est de même racine que le mot « Chéva » [sept], dans la mesure où lorsque les choses accomplissent leur fonction initialement définie, elles nous nourrissent et nous convient à la plénitude du but pour lequel elles ont été créées…
Inversement, le jour est par nature chaotique. Renouvellement permanent des conditions d’existence, il vient – pour ainsi dire – remettre en cause la continuité inscrite dans le mouvement général de l’univers, comme le montre l’expression : « Demain est un autre jour »… C’est pourquoi, il nous est demandé lors du décompte du Omer, de replacer la course des jours – comme illustrant ce passage de la naissance à la destruction – dans un cycle plus vaste qui rattache celle-ci au mouvement général de l’existence, et ce, jusqu’à pouvoir l’inscrire dans le 50è jour de la Séfira : celui où est rendu évident le fait que la vie est celle de la Torah, comme nous le disons dans la bénédiction sur la Torah : « Vé‘Hayé Olam Nata béTokhénou [Il a planté en nous la vie éternelle] ». En effet, seule la Torah est susceptible de nous offrir la compréhension du sens profond des jours de cette vie tout comme le véritable sens du cycle dont le Chabbat est le signe (Ot). Ainsi quand nous disons dans le décompte de l’Omer que les jours sont autant de semaines, nous témoignons du fait que la vie n’a d’autre but que la vérité ! Car le dévoilement de la Torah constitue le sens profond de la pérennité du renouvellement incessant des jours de l’année. Les jours ne trouvent donc leur sens que dans les semaines… Puisque ce n’est pas la vérité qui est au service de la vie, mais bien le contraire ! Tant il est vrai que toutes les opinions s’annulent devant la vérité et que le mensonge ne peut exister sans un certain rapport à la vérité.
Voilà pourquoi, quand le Rambam assure que l’essentiel de la mitsva du décompte des jours de l’Omer, c’est bien la mention des semaines, c’est effectivement parce que « ‘hag haChavouot » – littéralement « la fête des semaines » – a pour but de nous convier à élever les jours de chaque semaine à cette promesse voulant que le cycle profond de la Création se dirige inéluctablement vers son but !

YEHUDA RÜCK (à partir d’un enseignement oral du rav Moché Chapira chlita) Avec l'accord exceptionnel d'Hamodia-Edition Française