Le 9 Av, jour de deuil du peuple juif, est l’occasion de réaliser que le temps est vivant. L’occasion aussi de se rapprocher de D.ieu… Le jour du 9 Av est considéré à juste titre comme le jour le plus triste du calendrier juif.

Ce jour-là, nous commémorons la destruction des deux temples et les souffrances du peuple d’Israël durant toutes les générations.

Ce deuil et cette profonde tristesse s’expriment par le jeûne et les lois afférentes à cette journée. On doit notamment appliquer cinq hala’hoth (lois) : ne pas manger, ne pas boire, ne pas laver ni oindre son corps, ne pas porter de chaussures de cuir, ne pas avoir de rapports conjugaux. On notera également que l’on restera assis par terre, comme le font les personnes en deuil; Pour Ticha beav, depuis le début du jeûne jusqu’à ‘hatsoth, la mi-journée du lendemain.

Après avoir cité ces lois, il est d’autant plus difficile de comprendre une autre halacha de Ticha beav : ce jour-là, on ne prononce pas le texte des supplications (ta’hanoun) dans la prière, et on ne fait pas néfilath apaïm (placer sa tête dans son bras pendant la récitation du ta’hanoun).

Pour quelle raison ? Parce que ce jour, comme les jours fériés, est appelé Moed (Choul’han Arou’h Ora’h Haïm 559 ; 4).

Cette affirmation de nos maîtres trouve son origine dans un verset des Lamentations : ce terme, Moed, est employé au sujet de la destruction du Temple. « Il a convoqué une assemblée (Moed) pour briser mes jeunes guerriers » (1 ; 15). Mais on le sait, le mot Moed est toujours employé dans la Thora pour exprimer la notion de fête. Alors comment comprendre cette appellation pour Ticha beav, dans la mesure où ce jour ne ressemble en rien à une fête ?

Sentiment de liberté

Certains commentateurs nous apportent un premier élément de réponse en expliquant que d’après la tradition, le Messie naîtra le jour de Ticha beav (cf. Midrach Esther Rabba introduction 14).

C’est donc une raison de ressentir dès aujourd’hui un certain sentiment de consolation et de joie.

Une deuxième réponse, rapportée au nom de Rabbi Yérou’ham de Mir, va nous faire découvrir une nouvelle approche du concept de deuil le 9 Av. A la différence des fêtes profanes, les fêtes juives ne sont pas une commémoration d’événements historiques. Dans l’optique de la Thora, l’homme traverse le temps. Et chaque année, aux mêmes dates fixées depuis toujours, le temps est imprégné d’éléments spirituels, qui ont un rapport avec les événements qui ont lieu à ces dates.

Au moment où l’homme traverse telle ou telle période, il ressent l’influence qui imprègne cette période, comme notamment un sentiment de délivrance, de foi ou de joie. Le temps n’est donc pas, selon notre tradition, un élément vide; Il a une vie en soi.

Lorsque arrive le mois de Nissan et la fête de Pessa’h par exemple, le moment est propice pour revivre la délivrance et l’élan de foi qui l’a accompagnée. Avec la fête de Chavouot, et la Révélation au Mont Sinaï, le temps est propice à un nouvel engagement, une acceptation de la Thora plus profonde.

Véritable source de joie

En intériorisant les enseignements de chaque fête, chacun a la possibilité de ressentir une nouvelle proximité avec le Créateur. Cela est vrai pour toutes les fêtes juives, et là se trouve le sens véritable du concept de Moed et des Moadim (fêtes), qui sont autant d’occasions de se rapprocher de D.ieu, source véritable de joie.

Rapprochement

Plus encore, ressentir la proximité et l’amour de D.ieu envers nous, Lui qui s’est manifesté de façon éclatante à ces dates, doit naturellement nous inciter à nous rapprocher de Lui. Le concept de Moed exprime donc un temps particulier qui crée le rapprochement entre l’homme et son Créateur. Et pour comprendre profondément comment ce rapprochement de D.ieu s’effectue, on peut prendre l’exemple des relations humaines.

Deux situations tout à fait différentes peuvent provoquer un rapprochement entre deux êtres.

Se souvenir de moments intenses, revivre une proximité avec une personne, provoque une volonté d’approfondir encore le lien et de se rapprocher de l’autre. A l’inverse, un éloignement entre deux êtres peut aussi faire naître la volonté profonde de se rapprocher. On prend conscience de l’ampleur de l’éloignement, et l’on souhaite alors recréer la proximité…

Le 9 Av, nous traversons un temps de deuil, le temps qui a été marqué à tout jamais par la destruction des deux temples, et par l’éloignement de D.ieu qui en a découlé, éloignement qui ne fait que s’amplifier, année après année. Le 9 Av, nous nous lamentons sur les souffrances du peuple juif, qui s’est éloigné de son Créateur.

En vivant profondément ce jour et en méditant sur ce que nous avons perdu, nous avons l’occasion unique de prendre conscience et de ressentir à quel point nous nous sommes éloignés de D.ieu.

Et c’est justement la prise de conscience de cet éloignement qui va éveiller en nous un élan vers Lui. Et alors, aussi paradoxale que cela puisse paraître, du plus triste des deuils va jaillir une joie profonde.

C’est cette joie qui confère à cette journée de deuil le titre de Moed, car se rapprocher de D.ieu est la seule joie véritable en ce monde.

Lorsque nous prendrons conscience, au plus profond de nous, du sens véritable de la destruction (‘Horban), nous pourrons mériter que le jour de Ticha béav devienne un véritable Moed.Par le Rav Eliahou Elkaïm de la Yéshiva Daat Haim