Pourquoi les femmes doivent-elles aussi boire les quatre coupes de vin du Séder ?
Au début de « Arvé Pessa’him » – le dernier chapitre du Traité de Pessa’him – la Michna exige des gabaïm – responsables de la tsédaka – de veiller à ce que tous les pauvres reçoivent une somme d’argent suffisante pour accomplir la mitsva des quatre coupes de vin au soir du Séder de Pessa’h…

Effectivement, le déroulement du Séder pascal exige la dégustation de quatre coupes de vin : la première est celle du kidouch de ce jour de fête (Yom tov), la deuxième vient à la fin de la première moitié du Hallel, la troisième est celle du Birkat Hamazone, la dernière venant après les cantiques qui suivent la fin du Hallel.
Objet Inconnu

À ce propos, Rachi cite le Midrach qui explique que cette mitsva dérive des quatre expressions de la délivrance annoncées dans notre paracha (Chémot, 6, 6-7): « Véhotséti – Véhitsalti – Végaalti – Vélaka’hti [Je ferai sortir – Je secourerai – Je sauverai – Je prendrai] ».

Ces quatre expressions verbales illustrent en fait les quatre facettes de la Sortie d’Égypte dont l’achèvement, indiqué par le quatrième terme, est la Révélation au mont Sinaï.

Or dans le Traité de Pessa’him (page 108/a), rabbi Yehochoua ben Lévi indique que les femmes doivent elles aussi boire ces quatre verres de vin, car c’est par le mérite des femmes pieuses que la Sortie d’Égypte a pu avoir lieu. Rachi justifie le fondement de cette mitsva sur le fait de la triple répétition du mot « kos » (verre) dans un seul verset cité à propos du rêve du grand échanson de Pharaon. Cette triple répétition s’explique ainsi comme l’allusion à trois délivrances d’Israël, qui seront aussi trois « coupes » que devra boire l’Égypte dans le futur : l’une avec Moché Rabbénou (la Sortie d’Egypte), la deuxième lors de la défaite cuisante qui sera infligée à Pharaon Nekho – le roi d’Égypte à l’époque du prophète Jérémie, et enfin celle que l’Égypte « boira » en même temps que les autres peuples le jour où viendra le Machia’h… Quant au quatrième verre de vin, il clôt la récitation du Birkat Hamazone comme pendant le reste de l’année.

Alors pourquoi Rachi préfère-t-il l’évocation du rêve du grand échanson pour expliquer le fondement de la mitsva des quatre coupes, et ignore-t-il le Midrach citant quant à lui les quatre verbes ou « langages de délivrance » mentionnés dans notre paracha ?

Des divergences entre rabbi Eliézer et rabbi Yéhochoua ben Lévi

Afin de répondre à cette question, le rav Horowitz, zatsal, explique dans son livre intitulé Kinyan Torah qu’il existe deux approches pour pouvoir ainsi en déduire la nécessité de l’acccomplissement par les femmes de la mitsva des quatre coupes de vin. En effet, les femmes sont en général exemptées d’accomplir les mitsvot positives liées au temps… Bien que dans le Traité de Temoura (page 2/b), il est stipulé qu’hommes et femmes sont concernés de la même manière par les mitsvot restrictives et les châtiments prévus par la Torah. Toutefois, en ce qui concerne les mitsvot positives et à défaut de source impérative, les femmes ne doivent en principe pas les accomplir.

La première approche pour obliger les femmes à l’accomplissement de la mitsva des quatre coupes est celle de rabbi Eliézer, énoncée dans le Traité Pessa’him (page 43/b) qui pose comme principe que tous ceux qui sont concernés par l’interdiction de manger du ‘hamets à Pessa’h sont tenus de manger de la matsa. Or cette interdiction s’adresse à tous, d’où le fait que l’obligation de manger de la matsa concerne les femmes autant que les hommes. On en déduit donc que les femmes sont tenues d’accomplir toutes les mitsvot concernant le soir de Pessa’h et, parmi elles, celle de boire les quatre coupes de vin car elles célèbrent l’anniversaire de la Sortie d’Égypte tout comme les autres mitsvot de cette soirée.

Selon cette approche de rabbi Eliézer, les quatre coupes de vin ne constituent donc pas une loi indépendante, mais elles sont induites par l’obligation de manger de la matsa.

Pour cette raison, de même que les femmes doivent manger de la matsa, elles doivent aussi boire les quatre verres de vin, partie intégrale du rituel de la soirée rappelé par les quatre mots de délivrance, comme Rachi le dit au nom du Midrach. Par contre, selon l’opinion de rabbi Yéhochoua ben Lévi, l’obligation de boire ces quatre verres de vin le soir du Séder dérive du rêve du grand échanson : elle est sans rapport avec la Sortie d’Égypte et n’a aucun lien avec l’obligation de manger de la matsa. C’est pourquoi rabbi Yéhochoua ben Lévi justifie cette obligation pour les femmes par le fait qu’elles aussi avaient eu leur place dans le miracle de la Sortie d’Égypte, puisque c’est bien par le mérite des femmes pieuses que cette fin d’exil a pu avoir lieu.
Rav Hayim Yaacov Schlammé.Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française