Comme dernière mission avant son décès, Moché reçoit l’ordre divin d’« exercer la vengeance des enfants d’Israël sur les Midianim, après quoi tu rejoindras tes pères », (Bamidbar, 31, 2). Si d’une part, la relation entre cette dernière bataille et le décès de Moché mérite d’être éclaircie, le Ktav Sofer fait aussi remarquer que la formulation de cette injonction divine s’est modifiée en cours de route…

En effet, le verset suivant énonce : « Moché parla ainsi au peuple : qu’un certain nombre d’entre vous (…) marchent contre Midian pour exercer la vengeance de l’Éternel ». Il serait donc opportun de déterminer si cette guerre fut menée pour la « vindicte » de D.ieu ou pour celle du peuple d’Israël…Afin de résoudre ces différentes contradictions, le Ktav Sofer rappelle que le peuple de Midian, inspiré par les conseils perfides de Bilaam, causa du tort aux enfants d’Israël à deux niveaux : nous avons en effet vu à la fin de la paracha de Balak que « le peuple se livra à la débauche avec les filles de Moav » ; or, comme le rapporte Rachi au nom du Midrach (25, 2), celles-ci ne consentaient à ces hommes que s’ils acceptaient auparavant de se prosterner devant leurs idoles. Dans un premier temps, on peut donc accuser Midian d’avoir causé une terrible déchéance morale chez les enfants d’Israël. Par ailleurs – et là était bien l’objectif de Bilaam –, ces deux terribles fautes attisèrent le courroux divin contre Israël et provoquèrent la mort de 24 000 de ses membres.

La faute de Moché…

Selon certains commentateurs (notamment le Rambam), l’erreur de Moché pendant l’épisode des « Eaux de la Discorde » – pour laquelle il lui fut interdit d’entrer en Eretz-Israël – consista en cet élan de colère qui l’emporta et qui l’amena à qualifier les enfants d’Israël de « peuple rebelle ». Par ailleurs, nous retrouvons des circonstances relativement semblables chez Yaacov notre ancêtre, lorsque Ra’hel se lamentait de ne pouvoir enfanter en lui disant : « Rendsmoi mère, sinon j’en mourrai ! ». Or, bien que l’amertume de Ra’hel ne justifie pas de telles paroles, il fut pourtant reproché à Yaacov de lui avoir répondu sur le ton de la critique : « Yaacov se fâcha contre Ra’hel : ‘Suis-je à la place de D.ieu Qui t’a refusé la fécondité ?’ », (Béréchit 30). En effet, expliquent nos Sages, bien que cette réponse soit parfaitement légitime, il n’en reste pas moins que l’on ne peut réprimander et accuser une personne pour des paroles prononcées lors d’un moment de colère ou de désarroi. Au contraire, Yaacov aurait plutôt dû partager la douleur de son épouse et tenter de lui faire entendre raison par des paroles plus indulgentes ; c’est pour cela précisément qu’un reproche lui fut alors adressé (comme le rapporte le Ramban, ibid.).

Dans des proportions nettement plus tragiques, c’est le même blâme qui pesa sur Moché au moment de l’épisode des « Eaux de la Discorde ». Certes, il est indéniable que la manière dont les enfants d’Israël se lamentèrent alors du manque d’eau était déplorable ; toutefois, Moché aurait dû éviter de manifester tant d’intransigeance à ce moment, et tenter plutôt de partager leur douleur. Et c’est bien ce léger écart de conduite qui lui valut la terrible interdiction de pénétrer en Eretz- Israël…

Or, il s’avère que la guerre menée contre Midian se déclara comme un parfait contrepoids à l’attitude reprochée à Moché : comme nous l’avons vu, par la faute de leurs sordides incitations, les Midianites furent à l’origine du terrible fléau qui fit tomber des milliers d’enfants d’Israël. Pour se racheter de son manque de compassion envers eux, D.ieu offrit à Moché l’occasion de manifester une dernière fois son amour intense pour Son peuple en prenant à coeur d’exercer leur vengeance précisément. Ce fut donc pour prouver que son attachement au peuple hébreu restait inaltéré que fut offerte à Moché, avant son décès, cette ultime mission… après quoi il put « rejoindre ses pères ».

Toutefois, ce motif de guerre ne pouvait valoir que pour Moché luimême, en vertu de ces différentes considérations. Les enfants d’Israël en revanche ne pouvaient se cacher derrière la « vengeance du peuple » pour mener cette bataille, dans la mesure où par leurs fautes, eux-mêmes avaient été la cause de leur propre perte… Voilà pourquoi il leur fallait assumer pleinement les conséquences de leurs actes.

Par conséquent, s’il y avait un motif pour que les enfants d’Israël livrent cette bataille, ce fut bien celui d’« exercer la vengeance de l’Éternel » : non pour se venger de la perte des milliers de leurs frères, mais au contraire, pour se racheter eux-mêmes des fautes commises sous l’influence si néfaste des filles de Moav. Par Yonathan Bendennoune, Hamodia-Edition Française